Didier Tronchet a repris le crayon pour croquer Le Monde du dessous de l’Amérique du Sud. Après les Vertiges de Quito, direction les mines d’argent de Potosi pour un album très fort, tiré du roman envoûtant de sa femme, Anne Sibran. Rencontre avec un drôle de conteur, capable de tout prendre avec légèreté, pour faire naître le rire !
« Allez fonce vieux ! »
Pourquoi tu t’es lancé dans cette « folie », comme tu dis toi-même, d’adapter Dans la montagne d’argent ?
Didier Tronchet : Au départ, je ne pensais pas que c’était une histoire pour moi, que le récit était plus adapté à un dessin réaliste. J’ai toujours cette précaution avec mon dessin de penser qu’il ne peut pas sortir de son registre, que je pourrais dessiner des aventuriers d’appartement toute ma vie.

J’ai déjà eu des expériences avec Anne Sibran... Notamment amoureuses puisqu’on est ensemble depuis une vingtaine d’années ! Si ca n'avait pas été pas le cas, ç'aurait été dommage [Rires]. Mais aussi trois livres, Le Quartier évanoui, Là-bas, Ma vie en l’air qui étaient, pareil, des adaptations de ses romans. Donc il était possible que je m’empare de ce livre mais je ne le trouvais pas évident, avec son décor, ses personnages. Les mineurs boliviens, ce n’est pas mon quotidien. J’ai vécu trois ans en Equateur avec elle, j’ai circulé en Bolivie, j’y ai vu des décors sublimes, et comme je les avais dans l’œil, ça m’a donné l’assurance nécessaire pour les retranscrire.
Après j’ai fait un essai d’une page. Quand j’ai vu que j’arrivais à retranscrire la montagne et qu’on y croyait, je me suis dis « Allez, fonce, vieux ! » parce que je me parle souvent à moi-même.
D’ailleurs, tu as décalé le ton par rapport au roman, où le personnage s’adresse au diable.
Ce roman mérite d’être lu, il a un style d’écriture particulier que j’adore ! C'est un grand flashback avec le personnage qui, au début, s’adresse au diable. Ca ne fonctionnait pas bien en BD car le hors champ y atteint plus vite ses limites que dans un roman. J’ai donc construit une histoire plus linéaire, pour ménager le suspense…
Je voulais qu’on suive la vie entière de ce personnage qui croise des gens truculents, comme il y en a beaucoup en Amérique du Sud : j’y ai trouvé de vraies gueules ! Je me suis aussi senti plus à l’aise avec le regard d’un enfant : il me permet d’avoir mon dessin naïf, ou plutôt « faussement naïf ».

Tu as aussi allégé le ton pour coller à ton dessin ?
Oui, même si c’est involontaire. Ma nature à moi est plus légère et si possible d’être drôle, non pas que celle d’Anne soit d’être sombre. Faire rire, même si ici c’était moins le cas, c’est une sorte de politesse par rapport au lecteur pour éviter de le prendre en otage de sentiments trop forts. La bande dessinée n'est, à mes yeux, pas le bon véhicule pour de la grosse émotion, ça devient vite trop appuyé.
Ce ton léger est mon langage naturel alors que le ton d’Anne est plus envoûtant, plus puissant, plus rude. C’est aussi le langage du roman qui permet de descendre dans des tonalités plus profondes, plus graves, finalement, je n’ai fait qu’adapter le ton au médium !

Tu adoptes d’ailleurs un cadre assez rigide avec 6 cases par pages, très classiques...
En fait, j’ai traduit le livre comme des tableaux avec un récitatif. Ca collait bien avec un écran unique et un rythme calme, posé. Je ne voulais pas d’effet de « grande action », je voulais que le récit s’enchaîne de manière presque métronomique, d’où mes cases de format similaire la majorité du temps.
Les seuls éléments de rythme que j’ai introduit, c’est l’effet panoramique du paysage : j’aime bien que, comme au cinéma, l’écran ne bouge pas !
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