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La planche de la semaine : Saga de Xam de Nicolas Devil et Jean Rollin

Chaque vendredi, on découvre ensemble une planche de l'immense collection de la Cité de la bande dessinée et de l'image d'Angoulême qui propose jusqu'en août 2026 une exposition fascinante et sans cesse renouvelée : Trésors des Collections. Dans la section Patrimoine , découvrez la planche #31 Saga de Xam de Nicolas Devil et Jean Rollin.

La planche de la semaine : Saga de Xam de Nicolas Devil et Jean Rollin

Le mot du commissaire de l'exposition, Jean-Pierre Mercier

Sorti en 1967, Saga de Xam est une œuvre unique, un livre hors des canons de la production BD de l’époque (et d’aujourd’hui tout autant). De grand format, l’ouvrage comporte une jaquette et sa pagination excède très largement les 48 ou 64 pages habituelles de bande dessinée franco-belge de l’époque. Il faut dire que son éditeur est Eric Losfeld, l’éditeur historique des surréalistes qui s’est fait connaître en France par ses publications de romans érotiques, au premier rang desquels Emmanuelle, source de bien des ennuis avec la police et la justice. Editeur de Barbarella de Forest, de Pravda et de Jodelle de Peellaert et donc de Saga de Xam, Losfeld a joué un rôle déterminant dans l’émancipation de la bande dessinée françaisede l’époque.

De l’érotisme, il y en a dans Saga de Xam. L’histoire met en scène une extraterrestre qui ressemble à s’y méprendre à une terrienne, si ce n’est qu’elle a la peau bleue. Elle est plusieurs fois envoyée sur notre planète par la reine de la planète Xampour comprendre la force et de la violence des humains afin de s’en défendre. Saga visite successivement la Terre à la période médiévale, durant l’antiquité tardive, 100 00 ans avant notre ère, à l’époque de l’Egypte antique et de la Chine du XIXe siècle.

Cette histoire de SF se lit aussi bien comme une plongée dans l’histoire de l’humanité que comme une traversée de son histoire artistique. Chaque voyage dans le temps est en effet le sujet d’un chapitre spécifique (sauf le dernier sur lequel nous reviendrons), dont le style graphique reprend l’esthétique de la période : le chapitre égyptien montre des personnages plats et stylisés, celui dévolu à la Chine copie les peintures chinoises, etc.

Marqué par l’Art nouveau et surtout le psychédélisme américain de l’époque, Saga de Xam est l’œuvre de Nicolas Devil (Deville de son vrainom), aidé au scénario par Jean Rollin, cinéaste de l’époque connu pour ses films de vampires teintés d’érotisme. Rollin n’est pas le seul à avoir contribué à l’œuvre. Le dernier chapitre fonctionne sur le principe du Cadavre exquis et fait intervenir une dizaine de personnes dont un comédien du Living Theatre et divers peintres et dessinateurs, dont le jeune Philippe Druillet. La présence de Druillet dans cette entreprise n’est pas fortuite : il avait publié l’année précédente chez Losfeld le premier volume des aventures de son héros galactique Lone Sloane et il a dessiné plusieurs affiches pour les films de Jean Rollin. Ses interventions dans Saga de Xam sont d’ailleurs très aisément repérables. Baroque et surchargé, Saga de Xam emporte par son énergie et son audace, malgré quelques défauts : ainsi les bulles sont littéralement surchargées d’un texte très abondant et lettré trop petit, rendant difficile leur lecture. Losfeld avait pallié à ce défaut en adjoignant une authentique loupe à la première édition...


Tiré à 5000 exemplaires, l’album ne fut jamais réédité par Losfeld qui déclara dans ses Mémoires (récemment rééditées)quil préférait que le livre devienne une rareté pour collectionneur. Une réédition a été faite en 1980, rapidement épuisée et difficilement trouvable aujourd’hui.

Le mot du chroniqueur de ZOO, par Frédéric Grivaud

Afin d’aider la population de sa planète Xam envahie par les Troggs, l’aventurière Saga est dépêchée sur Terre afin d’observer ses habitants passés maîtres dans l’art de la guerre. Une exploration de l'histoire humaine à travers diverses périodes, chacune représentée graphiquement avec des styles distincts. Cela donne parfois l'illusion que, devant l'abondance des motifs, des audaces, des idées, l’album est bien plus une réflexion formaliste que véritablement une bande dessinée. Ce qui s’explique aussi par le fait que Nicolas Devil a appris sur le tas l’art et la façon de faire de la BD, dépassant intuitivement les conventions du genre. Chaque planche se transforme alors en terrain d'expérimentation, mettant en évidence ses compétences de dessinateur, comme on peut l'observer dans la page exposée ici.

Devil joue avec les textes, les sons, le cri/rire s’échappe du drakkar pour se répandre progressivement sur l'eau et envahir les cases, pendant que Saga surveille la situation, prête à agir. On perçoit clairement qu'il y a encore de l'incertitude dans la gestion du lettrage : trop petit par ici, trop compact dans la bulle là... L’artiste va peiner tout du long pour trouver le bon équilibre entre lisibilité et illisibilité, allant jusqu’à créer son propre dialecte vers la fin de l’album, ou encore obligeant à sortir une loupe pour lire certains passages, comme au tout début.

Néanmoins, la planche que l’on peut voir ici correspond le mieux à une approche BD, présentant une mise en scène assez conventionnelle et une composition symétrique qui souligne les éléments majeurs du côté gauche avant de capter l'attention du spectateur vers la droite. Si l'effet est simple, il demeure efficace.

L’album aura longtemps souffert de son invisibilisation due à son tirage initial assez restreint. Heureusement, les éditions Revival auront permis sa réédition en novembre 2022, offrant enfin une seconde vie à une œuvre unique qui semble toujours remarquablement actuelle tant dans sa forme que dans ce qu’elle projette sur le monde.

La planche de la semaine : Saga de Xam de Nicolas Devil et Jean Rollin


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