Aujourd’hui, nous commémorons un triste anniversaire : les dix ans des attentats terroristes contre Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher, des événements qui ont marqué à jamais la France et bien au-delà. En ce 7 janvier 2025, nous nous sommes interrogés, au sein de l’équipe de ZOO, sur ce que chacun faisait ce jour-là, comment nous avons appris la terrible nouvelle, et comment cela nous a marqués.
Une journée gravée dans nos mémoires
Pour beaucoup d’entre nous, le 7 janvier 2015 restera un jour où le temps s’est suspendu. Les nouvelles sont arrivées comme un choc, brutales et incompréhensibles.
Christophe, rédacteur en chef chez ZOO : « Il est 12h15, ce mercredi 7 janvier 2015, je viens de donner un cours au collège lorsque je reçois un texto de mon amie journaliste. Il y a un problème à Charlie Hebdo, me dit-elle ! Étudiant, plus de 10 ans auparavant, peu de temps après la reprise du titre, j’avais eu la chance de rencontrer plusieurs fois l’équipe et de sympathiser avec quelques dessinateurs que j’admirais déjà depuis longtemps".
"Les médias parlent alors d’attaque terroriste avec des morts et des blessés. Les premiers noms tombent comme mes larmes… »
François Samson, journaliste chez ZOO : "Je déjeunais dans un restaurant du 14ème arrondissement de Paris. La télévision était allumée, juste au-dessus de ma table. Je n'y prêtais pas attention jusqu'au flash info annonçant l'attentat et la mort de Cabu, Wolinski, Charb et Tignous. Je crois que c’étaient les seuls noms cités. La mort d’Honoré et de Bernard Maris, par exemple, n’était pas encore connue."
"J'étais sous le choc. J'ai alors raconté à la collègue avec qui j’étais les souvenirs que j'avais de mes rencontres avec trois de ces dessinateurs. Histoire de les faire revivre un peu au travers de mes souvenirs."
J'ai rencontré Charb et Cabu au festival de BD d'Amiens en 2011. Ils sont placés non loin l'un de l'autre. Cabu me fait une dédicace sur un recueil consacré à Johnny Hallyday, qu'il a souvent caricaturé. Sur le dessin, Cabu ajoute une croix au cou du chanteur, qui en portait effectivement une. Cabu, anticlérical notoire, s'énerve : "Mais pourquoi porte-t-il cette croix ?". Je lui réponds que c'est peut-être tout simplement parce que cela fait rock, Madonna portant aussi pas mal de crucifix. Alors Cabu me regarde d'un air mi-candide, mi-étonné, et répond "Ah bon, vous croyez ?". On aurait dit un enfant qui découvre une évidence. J'aime ce souvenir.
J'ai moins de souvenirs de mon échange avec Charb. Peut-être n'avons-nous pas beaucoup parlé. Pendant qu'il me dessine Maurice et Patapon, je me fais la réflexion qu'il ne fait pas son âge. Il a alors 44 ans. Et il ne savait pas qu'il ne lui restait même pas 4 ans à vivre. Quant à Wolinski, je l'avais déjà croisé plusieurs fois. Mon dernier souvenir, le plus marquant, a pour cadre le vernissage d'une exposition qui lui était consacré en 2011 par la galerie Huberty-Breyne. J'avais vu une semaine plus tôt un reportage sur lui ; sa femme Maryse y apparaissait également. Wolinski y évoquait une dispute avec elle. Et lors du vernissage, le dessinateur discute avec un petit groupe dont je fais partie. Au détour de la conversation, il précise en racontant une anecdote : "Je m'étais disputé avec ma femme." Et moi de m'exclamer benoîtement : "Encore !?!", ayant en tête la dispute dont il parlait dans l'émission TV. Wolinski me jette un regard d'incompréhension... et poursuit son histoire. Heureusement, car je me suis senti vraiment très bête !
Le patron du resto m'a ramené au présent. Et de quelle façon ! Il nous a lâché sur le ton de "celui qui sait" que ce n'était pas des Islamistes qui avaient commis ces assassinats, mais la CIA. "J'en suis sûr", assène-t-il. Il était souvent à côté de la plaque et j'ai appris ce jour-là qu'il était de plus conspirationniste. Je n’ai pas réagi à son délire. J’étais tellement sidéré par cette tuerie… Par la suite, j'ai affiché dans mon bureau un dessin de Zep fait juste après l'attentat et publié sur son blog du Monde.fr. Ce dessin est toujours sur mon mur."

Dessin de ZEP à la suite des attentats de Charlie Hebdo © ZEP
Julien Foussereau, journaliste chez ZOO : "Alors que je vis dans un monde déjà trop connecté et saturé par le trop plein d'informations, je donne dans le multitâche à plein régime, en bon forçat de la presse culturelle. Un rail d'innombrables onglets traverse la largeur de mon écran d'ordinateur, entre un article en cours de rédaction, d'autres en souffrance que j'ai envie de lire, des recherches en cours, les multiples mails à lire et auxquels je dois répondre et mon lecteur multimédia car je ne suis jamais aussi bien concentré qu'avec de la musique en fond sonore. "We Are The Pigs" du groupe de Britpop Suede joue sur ma playlist lorsque soudain mon portable vibre pour pousser une dépêche AFP vers midi. Mon ventre exprime quelques gargouillis. La lecture de cette dépêche agit comme un coupe-faim. Tout se fige. On parle d'abord de tirs sur la façade. Je tente de comprendre ce qui se passe via Twitter. Je sens comme un nœud serrer mes tripes, avec ce mauvais présage en tête : celui que notre 11 septembre français est en train d'advenir. Vient alors un complément d'information qui me met KO : "...Cabu, Charb, Tignous, Wolinski assassinés". Ma boîte crânienne est dévastée par un tsunami qui vire au flux démonté de conscience. Les paroles du refrain de la chanson de Suede ("We are the stars of the fire... of the firing line" / "Nous sommes les stars de la ligne de tir"), les conséquences terribles qui vont découler de cette tragédie, la compassion pour les proches des victimes, tués pour des dessins, la colère face aux éditocrates et aux pisse-froids qui ont laissé cette rédaction de déconneurs anars seuls face à leur combat de toujours : le droit de rire (méchamment) de la farce que peut être l'existence... tout s'entrechoque dans ma tête.
Mon moi de 34 balais se met à cohabiter avec d'autres versions plus jeunes : le gamin que j'étais ricanant devant le Beauf de Cabu, l'ado plus attiré par les dessins paillards de Wolinski illustrant mon édition de Candide de Voltaire et le jeune adulte mort de rire devant la production abrasive de Tignous et Charb. Et tous se mettent à pleurer."
" Mon insouciance d'enfant des années 80 avait déjà été sévèrement entamé en 2001, l'attentat de Charlie Hebdo se charge de lui mettre un énième coup de pelle et me plonge dans une léthargie qui ne me quittera que trois jours plus tard avec l'attentat de l'Hyper Casher à quelques centaines de mètres de chez moi."
Yann Passeron, journaliste chez ZOO : "Je me souviens de cette période mais plus précisément de l’hyper casher ou de la traque des deux frères terroristes. Pendant cette période, je travaillais dans une salle des marchés à Paris et je suivais minute par minute tous les évènements en entendant les hélicos qui survolaient la capitale."
"Comme tout le monde, j’ai été très touché par ces évènements et suis allé manifesté contre le terrorisme et en solidarité avec les victimes. Nous étions des millions. C’était très émouvant."
Ma mère était dans le wagon du RER B de Saint Michel en juillet 95 lorsqu’il y a eu l’attentat. Elle a eu de la chance, elle était assise et la rame bondée, elle a été protégée de la déflagration. C’est une des raisons qui m’a rendu encore plus sensible à cet événement…"
Une réflexion collective
Au fil des années, ces événements nous ont poussés à nous interroger sur notre rôle en tant que média culturel. Comment parler de liberté d’expression, de création artistique et de satire dans un monde marqué par une telle violence ?
Continuer à écrire, raconter et créer
Dix ans plus tard, les émotions restent fortes, et l’importance de se souvenir est plus prégnante que jamais. Nous voulons, par ce témoignage collectif, honorer la mémoire des victimes de ces attaques, mais aussi souligner la résilience de ceux qui ont choisi de continuer à raconter, à dessiner, à créer.

Numéro spécial de Charlie Hebdo publié mardi 7 janvier 2025 © Charlie Hebdo
Et vous, où étiez-vous ce jour-là ? Comment avez-vous vécu ces moments ? Dix ans après, la mémoire collective continue de s’écrire.
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