Chaque vendredi, on découvre ensemble une planche de l'immense collection de la Cité de la bande dessinée et de l'image d'Angoulême qui propose jusqu'en août 2026 une exposition fascinante et sans cesse renouvelée : Trésors des Collections. Dans la section Académique, découvrez la planche #7 de Guido Buzzelli !

Le mot du commissaire de l'exposition, Jean-Pierre Mercier
Paru en 1973 en Italie, HP (pour Horse Power) a été publié l’année suivante en France dans Charlie Mensuel, qui fit connaître dans notre pays son dessinateur Guido Buzzelli et contribua puissamment à établir sa gloire en Europe. Décrivant des sociétés inégalitaires et violentes, où le cynisme des dirigeants n’a d’égale que la soumission des opprimés, Buzzelli met la plupart du temps en scène des héros qui lui ressemblent de façon troublante, dont la révolte face à la brutalité et l’injustice naît moins d’une analyse politique que de la conscience douloureuse d’une inadaptation foncière au monde dans lequel ils vivent.
Traité sur le mode bouffon dans La Révolte des ratés, sa première œuvre marquante, cette thématique revient dans la quasi-totalité de son œuvre postérieure, dans des contextes fantastiques ou de science-fiction. Buzzelli dessinera une demi-douzaine d’histoires dans cette veine avant de répondre à des commandes plus alimentaires, puis de revenir à la peinture (qui fut son premier métier) et l’illustration pour la presse italienne (il a été une des grandes signatures de La Reppublica). Il est mort en 1992.
HP est sa dernière œuvre « spéculative », qui rassemble tous les grands thèmes parcourant sa création : dans un monde qu’on devine post-atomique, une société de réprouvés qui vit de chasse et de rapines côtoie une ville ultramoderne et oppressante, dirigée par une oligarchie militaro-scientifique. Les dirigeants de cette ville ont mis au point un cheval-robot perfectionné, HP, qu’ils lancent comme un leurre aux confins des campements où vivent les exilés. Chassant l’infatigable monture, beaucoup perdront la vie, avant de découvrir la supercherie. Dans le même temps, la décadence de la ville entraîne ses habitants vers les campements des exilés. Dans les dernières pages, une population libérée commence à recréer une nouvelle cité. Sera-t-elle plus libre ? Kostandi et Buzzelli laissent la fin ouverte…
Alexis Kostandi, qui avait fourni plusieurs courts scénarios d’une remarquable noirceur à Buzzelli, lui donne avec HP l’occasion de mettre en images quelques-unes de ses obsessions : la décadence de sociétés humaines rongées par la violence et le goût du pouvoir, l’hybridation entre l’homme et l’animal (un épisode de l’histoire met en scène des hommes à tête d’animaux), la rédemption par l’art (Buzzelli s’est distribué dans le rôle d’un peintre qui tente vainement d’exercer son métier)… Doté d’une solide formation classique, le dessinateur excelle dans la représentation des chevaux, tout autant que dans la description d’engins futuristes dénués de tout glamour. Son trait puissant, parfois lyrique, donne une force impressionnante à des pages en noir et blanc toujours impeccablement composées.
Le mot du chroniqueur de ZOO, par Frédéric Grivaud
Aujourd'hui injustement méconnu du grand public, Guido Buzzelli, récemment redécouvert grâce aux magnifiques intégrales publiées par Les Cahiers Dessinés, reste néanmoins un artiste d'exception dont HP est certainement l’une des œuvres les plus représentatives .
Buzzelli et son complice Alexis Kostandi nous plongent dans un univers post-apocalyptique, ou s'opposent une société dystopique régie par des militaires et des scientifiques, et des tribus livrées à elles-mêmes qui vivent dans des carcasses d'avion, survivant grâce à la chasse ou à l'élevage. Un jour, un étrange cheval fait son apparition dans le désert : il possède une très grande force physique , ainsi qu'une exceptionnelle rapidité.
À travers cette « fable moderne », les auteurs portent un regard sans concession sur les travers d'une certaine forme de société adepte du contrôle des individus, de l'exercice du pouvoir, de l'usage de la science au profit d'un gouvernement dictatorial, à grand renfort de manipulation des populations par la peur...
Le scénario fait réfléchir par sa profondeur, même si cela manque parfois de subtilité dans la formulation. Malgré tout, on est tout de suite ébloui par la prestation graphique de Buzzelli qui confirme l'ampleur de son talent, tant dans son aspect expressionniste que par la force de son trait.
La planche mise en scène ici nous amène au moment où l'on réussit à capturer le fameux cheval. On sent dans le trait vif du dessinateur l'énergie et l'urgence qui découlent de cette course poursuite, l'affolement de l'animal exacerbé par son regard vide et sa tête sombre. En quelques cases, Buzzelli pose la situation efficacement, la tension qui anime la scène, on est tout de suite sous le charme du dessin, des expressions, avec l'impression de voir bouger tout ce petit monde devant nous.
Guido Buzzelli mériterait amplement d'être redécouvert, comme le démontre très bien cette magnifique planche.

PlancheCIBDI
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