On connaissait le talent de Tiburce Oger pour raconter l’heroic fantasy, mais on était loin de se douter qu’il nourrissait une si grande passion pour le Far West et les aventuriers des grandes plaines. Buffalo Runner étant coup de cœur de culturebd, nous ne pouvions pas laisser échapper l’occasion de l’interroger.
Un western sombre et réaliste…
Buffalo Runner montre une face beaucoup plus sombre du Far West. Pour démystifier la légende ?
C’est plus une envie de casser les poncifs qui existent depuis qu’Hollywood s’est accaparé le sujet. Dès les années 1880, les journalistes à sensation de la côte Est allaient dans l’Ouest, glanaient deux-trois faits divers avec un soulaud qui avait abattu un autre type pendant une partie de cartes et en faisaient un roi de la gâchette. Ils ont créé des légendes de l’Ouest, alors que pour moi cette légende correspond beaucoup plus au courage de prendre une carriole, trois pelles et de partir avec sa famille.

Je voulais aussi casser certains clichés comme les colts qu’on dégaine pour tirer sur une pièce en l’air. A l’époque le colt était un outil, ce n’est pas fait pour frimer en ville le samedi soir. C’était un moyen de localisation pour informer les copains qui vont entendre la détonation à un kilomètre ou pour achever un veau blessé.
Tout en restant dans le western, vous semblez avoir une approche plus réaliste.

Pour mes recherches, j’ai lu des autobiographies d’anciens cowboys. Dans les années 1830, on a pour la première fois énormément de photos. Sur ces photos d’époque on voit que tous les gars ont la moustache ou le bouc, alors que John Wayne n’a pu le faire que dans un seul western, car les producteurs lui ont dit « plus jamais ça, c’est pas vendeur » !
Le western est venu en France au début du XXe siècle avec Buffalo Bill et sa tournée qui faisait rêver les gamins. Après la Seconde Guerre mondiale, les Américains sont arrivés avec leur culture, c’est là qu’on a beaucoup mangé de Gary Cooper et de John Wayne. Ca a influencé des auteurs comme Charlier et Giraud qui ont fait Blueberry, ou Hermann pour Comanche.
Dans les années 70, certains ont commencé à voir les choses sous un angle différent, il y a eu Jonathan Cartland de Blanc-Dumont ou Buddy Longway de Derib, qui s’est mis du côté des Indiens. Mais ils avaient quand même dans leurs bagages ce qui s’était fait avant, avec des erreurs sur certains codes vestimentaires. Les chapeaux qu’on voit n’ont jamais existé, ça vient des films des années 50. Il n’y a jamais eu le holster à la Blueberry qui pendouille jusqu’au genou ! Les mecs auraient perdu leur pétard au milieu du troupeau !
On voit tous les aspects sombres de l’Amérique : le massacre des Indiens, celui des bisons, la guerre de Sécession. Vous parlez du « nouveau monde déjà trop vieux ».

Parce qu’il a déjà trop vécu. Il a eu la guerre d’Indépendance, les guerres indiennes, les guerres anglo-canadiennes, les conflits américano-mexicains. Les Indiens eux-mêmes se faisaient la guerre. Les colons espéraient un nouveau monde et ils ont eu le même. Je pense que les Européens ont exporté leurs conflits et amené leur misère en arrivant sur le nouveau continent. Ils rêvaient de fortune, mais elle a été accaparée par certains, comme toujours, et on a laissé les miséreux s’entretuer quand ils étaient trop nombreux… avant de les envoyer coloniser le reste du continent.
Mon Far West est désabusé parce que les Américains d’aujourd’hui auraient pu obtenir autre chose de ce pays. Mais c’est toujours facile de réviser l’histoire quand elle est faite. C’est aussi mon constat : le mec a fait plein d’erreurs dans sa vie, mais c’est sa vie.
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