Chaque vendredi, on découvre ensemble une planche de l'immense collection de la Cité de la bande dessinée et de l'image d'Angoulême qui propose jusqu'en août 2026 une exposition fascinante et sans cesse renouvelée : Trésors des Collections. Dans la section Strips, découvrez la planche #13 : John Prentice !

Le mot du commissaire de l'exposition, Jean-Pierre Mercier
Les héros sont éternels, dit-on. En tout cas, ils survivent souvent à leur créateur. Ainsi, les personnages de bande dessinée passent-ils de main en main, au fil des décennies, alors que leurs créateurs successifs disparaissent. Les exemples de ce phénomène sont innombrables dans l’histoire du neuvième art, et nous allons l’illustrer aujourd’hui avec Rip Kirby, du grand dessinateur américain Alex Raymond.
Rip Kirby fut, en 1946, la dernière création d’Alex Raymond. Suite à sa disparition accidentelle en 1956, les responsables de l’agence King Features Syndicate lui cherchèrent un remplaçant. Leur choix se porta sur John Prentice, qui reprit la bande et en assura la continuité pendant... quarante-trois ans, puisqu’il prit sa retraite (et Rip Kirby avec lui) en 1999.
Né en 1920, John Prentice s’engage dans la marine au début de la Seconde Guerre mondiale et participe à plusieurs des grandes batailles navales du Pacifique. Démobilisé en 1946, il suit les cours d’une école d’art et devient ensuite dessinateur publicitaire, illustrateur et bientôt dessinateur de bande dessinée (il travaille en particulier pour le studio Simon-Kirby), avant qu’on ne fasse donc appel à lui pour le reprise de Rip Kirby.
Se glissant dans l’esthétique de Raymond, Prentice pratique un classicisme plein d’élégance, qui ne dépare pas les strips d’Alex Raymond. Cette bande de 1963 le démontre, qui parvient à rendre plaisante une simple scène de dialogues par le moyen d’un zoom-avant. Le travail du pinceau, tour-à-tour ferme et souple, est remarquable.
Le mot du chroniqueur de ZOO, par Frédéric Grivaud
Succéder à Alex Raymond est un pari extrêmement audacieux, tant le « maître » a su imposer un traitement graphique exceptionnel à la série qu’il a lui-même créé début 1946 avec Ward Greene aux scénarios, pour le King Features Syndicate.
Son style y est alors plus contrasté qu’auparavant, il met l’accent sur les scènes de dialogue, mais surtout sur la dynamique des poses, des jeux de lumière et d’ombre. Plus on avance, plus l’univers du détective amateur s’habille d’élégance, de raffinement, tout en confrontant le héros à des milieux interlopes plus sombres, moins lisses.
Le style de Prentice accentue l’aspect « gravure de mode » qui va longtemps être aussi la signature de la série, tandis que son trait se veut aussi plus vif et peut-être même plus sensuel.
Comme on le voit sur ce strip, l’artiste apporte une touche plus épurée, avec une attention portée au cadrage, aux expressions. Les décors sont réduits à quelques coups de pinceau, des lignes qui suggèrent, démontrant l’habileté du dessinateur à brosser une scène rapidement et très efficacement. Il y a de la finesse dans les gestes, qui contrastent avec la tension qui se devine à la fois dans les dialogues, mais aussi dans les regards.
De ce fait, il reste fidèle aux atmosphères qu’a progressivement développées Raymond, à ce type de strips mondains et sophistiqués qui louche vers le polar, tout en restant dans un réalisme doux et encore une fois sensuel, propre aux soaps, comme on peut le retrouver chez des artistes comme Stan Drake (The Heart oh Juliet Jones, Kelly Green) ou Leonard Starr (On stage, Little orphan Annie).
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