C'est vendredi, prêt.e à découvrir une nouvelle planche issue de l'immense collection de la Cité de la bande dessinée et de l'image d'Angoulême qui propose jusqu'en août 2026 une exposition fascinante et sans cesse renouvelée : Trésors des Collections ? Cette semaine, on plonge dans la section "clair-obscur" et c'est l'occasion de se replonger dans le Charlie Mensuel. En l'occurrence, cette planche d'Alack Sinner de José Munoz et Carlos Sampayo a été publiée dans le numéro 102, en 1977.

Le mot du commissaire de l'exposition, Jean-Pierre Mercier
Le blues, la mélancolie, la saudade… Plusieurs mots pour un même sentiment, cette étrange délectation de la tristesse, qui paraît accabler Alack Sinner, dans cette page extraite de Conversation avec Joe, épisode paru en 1977 dans Charlie Mensuel.
Alack est alors chauffeur de taxi à New York. Installé à une table du bar de Joe et ayant lu la presse, il laisse passer les heures tandis que la pluie tombe de l’autre côté de la vitre. Les notes de musique qu’il entend (et qui participent de sa délectation morose) sont celles de Cheryl, standard de Charlie « Bird » Parker. Il s’est levé à la page précédente pour mettre ce morceau dans le juke-box du café. (Et dans un autre épisode de la même période, c’est ce même air qui provoque la rencontre entre Alack Sinner et Enfer la prostituée noire qui sera un des grands amours de sa vie ; les deux personnages soulignent alors l’ironie qui amène Sinner – le pécheur – à rencontrer l’enfer.).
Joe, sans doute le seul véritable ami et confident d’Alack, va s’asseoir à la table et le laissera raconter un épisode de son passé, qui permettra au lecteur de compléter ce qu’il sait déjà du personnage qui a été policier, puis détective privé.
Créé en 1975 en Italie dans le mensuel Linus et publié la même année dans Charlie Mensuel, Alack Sinner est le fruit de la collaboration – et de l’amitié – de deux immigrants argentins, le dessinateur José Muñoz et le scénariste Carlos Sampayo, alors installés en Europe depuis quelques années.
Reprenant la trame classique du roman policier américain depuis Hammett et Chandler, ils la croisent avec une esthétique noire héritée de Caniff, Pratt et Breccia, et y injectent un lyrisme bouleversant, incarné par le noir et blanc virtuose de Muñoz. On pense bien sûr au Scorcese des premiers longs métrages ou aux photos de Diane Arbus, mais ce qui fait le prix du travail de Muñoz et Sampayo, c’est, par-delà la vision critique et politique de la société américaine, la présence faite de chair et de sang de personnages de fiction qui vieillissent, prennent des coups, mais s’accomplissent.
Le mot du chroniqueur de ZOO, par Frédéric Grivaud
Alack Sinner est une œuvre clé dans la fructueuse collaboration entre José Muñoz et Carlos Sampayo. Non seulement elle marque les débuts de cet exceptionnel duo, mais surtout elle assoit leur style, leur approche commune, en marge des codes. Une démarche qu’ils extrapoleront ensuite avec Le Bar à Joe.
Ainsi, progressivement, nous comprenons que le genre n’est qu’un cadre pour les deux auteurs qui vont alors s’ingénier à repousser leurs propres limites, tant dans l’écriture que graphiquement. La série tourne autour d’un détective désabusé et cynique, entouré des parfums de la ville, des inconnus cabossés. Il prend son temps, mélancolique, écoute la musique, prend parfois des coups, se laisse un peu dépasser aussi… C’est du polar dans l’esprit, mais c’est bien plus dans l’intention.
Une vraie leçon de BD.
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