En périphérie du global manga, Loputyn distille dans son œuvre un pan très inhabituel de l’art nippon. La preuve dans son Artbook chez Shockdom.
Que dire de l’autrice italienne au style délicat empli de mélancolie, de noblesse et de tourment ? Ses deux premiers albums parlent pour elle et nous aident à décortiquer ses thèmes et ambiances de prédilection, en attendant de continuer à s’en mettre plein la vue grâce à la sortie de son Artbook.
LES RACINES DE L’ANGOISSE
Cotton Tales, paru en second en France, mais dessiné en premier, assied immédiatement Loputyn dans un genre qu’on lui sent de prédilection : le kawai gothique. L’ambiance du diptyque est lourde et mystérieuse, les jeux visuels et les hallucinations oniriques trompent et floutent lecteurs et lectrices, le surnaturel omniprésent surgit sans s’expliquer, puis s’intègre à la réalité sans sourciller.
En outre, la stylisation pointue du manoir, des protagonistes, des postures, des ornements et des tenues s’intègre fabuleusement à cette démarche unique au Japon qui mélange dentelles macabres et froufrous mignons. Nicolas, le personnage principal du récit, se réveille d’un accident sans souvenirs. Il découvre pêle-mêle un manoir ouaté aux relents de naphtaline, un père au compor tement étrange, un serviteur hai neux, un fantôme mélancolique et des lapins fantasmagoriques potentiellement cannibales. De cet étrange mélange émergera un secret déroutant qui finira d’enchevêtrer tous les choix visuels et narratifs de l’autrice.

Cotton Tales, tome 1
©Shockdom editions, 2022
J’ENTENDS L’HOMME-LOUP, LE RENARD ET LA SORCIÈRE
Francis raconte la rencontre virevoltante et libératrice entre une jeune sorcière qui cherche à fuir ses responsabilités immédiates et un élégant, quoi que traitre, esprit de la montagne prenant la forme d’un renard à la langue acerbe. Tous deux sont emprisonnés dans un carcan imposé qu’ils rêvent de faire exploser. Metillia, fêtarde procrastinatrice, est en effet pressentie pour devenir la future cheffe du clan des sorcières, mais doit d’abord passer une épreuve qui la départagera de sa meil leure amie, la sage et studieuse Camilia. Ses incertitudes se multiplient à mesure que l’évènement qui décidera du reste de toute sa vie approche à grands pas sans qu’elle fournisse un quelconque effort pour le préparer. Francis, quant à lui, paie le prix de ses frasques passées.

Francis
© Shockdom editions, 2022
Loputyn traite leur rencontre comme une valse vénéneuse à la conclusion sur prenante raisonnée. Francis, entité tentatrice dévoyée sera-t-il conclusion ou commencement ? Le style aquarellé de l’autrice avoue toujours ses inspirations nippones tant visages, cheveux et garde robes lancent des appels à la comparaison, mais profite du thème de l’album pour mûrir aussi. Loputyn se décharge, s’allège, mue comme ses personnages et s’engouffre dans un format qui lui permet de creuser différemment son élégance.
L’ART COMME MIROIR DE L’ÂME
Alors qu’attendre de son Artbook ? Loputyn dessine sans cesse. Son deviantArt, son Tumblr et son compte Instagram en sont les plus belles preuves. On peut y voir des développements intimes et passionnés des interactions déployées dans Francis. Ce recueil d’illustrations, initialement publié en Italie en 2016, regroupe ses illustrations de la période Cotton Tales, à la fois plus chargées et posées, mais aussi plus détaillées et peaufinées.

Illustration tirée de l'Artbook
©Shockdom editions, 2022
L’album ne reprend pas uniquement les personnages emblématiques de son histoire, mais développe d’autres environnements et révèle aussi d’autres recherches. Sublime pour quiconque apprécie le style de l’autrice, l’Artbook est aussi la plus belle preuve de la fusion réussie entre plusieurs courants visuels mondiaux affirmés.
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