Trouver la poésie dans le quotidien
En vacances à Nice, Fred est au restaurant avec son fils. L’enfant a faim et s’impatiente. Son père lui raconte alors une histoire en utilisant les éléments du décor : la mer, les bateaux, une bouteille... Le récit loufoque et poétique plaît tellement au garçon que Fred s’empresse de l’écrire. Pour créer le personnage de Philémon, il s’inspire de son fils de 8 ans et l’imagine à 15. Les Naufragés du A sont nés.
Un dessinateur-poète autodidacte
Rêveur et perfectionniste, Fred apprend à dessiner seul. A 10 ans, il noircit déjà plusieurs cahiers. Ses traits simples faits à la plume, sans pleins ni déliés, rappellent la gravure sur bois. Ses personnages ont des allures de marionnettes et ses décors ressemblent à ceux des théâtres. Avec sa face plate, ses yeux en amandes verticales et ses cheveux en baguettes de tambour, Philémon ressemble presque à une sorte de guignol quelque peu désuet.
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Extrait de l’album Autour de Philémon
La poésie et la magie se trouvent à chaque coin de rue, Fred en est convaincu. Ce n’est donc pas un hasard si toutes ses créations s’inspirent du réel. L’auteur a pour habitude de trouver ses idées dans sa baignoire, Les naufragés du A découlent d’une question de Fred lors d’un de ses bains : Où va t-on quand on se laisse aspirer par le petit tourbillon de la baignoire qui se vide ? L’auteur se rappelle également d’une vision enfantine. Quand il était petit, les noms des océans des cartes géographiques dans les atlas étaient comme des îles. Et pourquoi l’Atlantique comme première destination pour Philémon ? Pour Fred, la Méditerranée est comme une grande piscine alors que l’Atlantique et le Pacifique sont synonymes d’aventure.
Si Philémon a les traits du fils de l’auteur imaginé ayant 15 ans, le père de Philémon est directement inspiré du propre père de Fred. Fred avoue que son père n’a jamais lu une de ses bandes dessinées et que s’il l’avait fait il n’aurait jamais cru à ses histoires. Il n’est d’ailleurs pas le seul à buter sur les péripéties oniriques de Philémon, puisque les aventures de celui-ci ont eu bien du mal à s’imposer.
Une œuvre originale et novatrice
En septembre 1960, Fred crée avec son acolyte, Cavanna, et Georges Bernier, alias Professeur Choron, le journal bête et méchant : Hara-Kiri. L’humour satirique dénote avec les revues de l’époque. Après une première interdiction en 1961 par une commission de censure jugeant les dessins “morbides”, Fred quitte définitivement Hara-Kiri en 1966 alors que le journal subit une seconde interdiction. Il imagine les aventures d’un certain Philémon et les envoie au Journal de Spirou. Yvan Delporte, rédacteur en chef de l’époque, juge que le dessin et l’histoire ne sont pas à la hauteur du journal et réexpédie le scénario à l’auteur. Sur un conseil de son ami Cabu, Fred se rend à la rédaction de Pilote et propose ses services à Goscinny qui accepte et sera un de ses soutiens indéfectibles.

Fred signe la première couverture de
Hara Kiri
Fred fut l’un des pilliers d’Hara-Kiri dont il signa la première couverture avant de devenir le directeur artistique du journal bête et méchant.
N’allez pas croire que les aventures de Philémon ont connu un succès immédiat, les lecteurs étant habitués à des histoires plus conventionnelles. Bien qu’il éprouve une certaine affection pour le personnage de Philémon, Fred se demande s’il est bon de continuer ses aventures. Parmi les lettres de lecteurs furibards que Pilote reçoit, il y a celle d’un petit garçon de 10 ans. A Fred, il demande pourquoi le personnage de “Barthélémy le puisateur” n’est pas remonté avec Philémon. C’est cette question qui donnera à l’auteur l’envie de continuer et qui enverra son héros chercher le “puisateur” dans l’album suivant, Philémon et le Piano sauvage.
Fred possède une tendresse toute particulière pour les enfants, car tout comme lui ils vivent dans un autre monde. Ils sont encore capables de rêver, d’imaginer, de croire en l’incroyable. Ils sont libres. Et la liberté pour Fred est une notion essentielle, si ce n’est vitale. Les cheveux en bataille et les pieds constamment nus (sauf dans le Piano sauvage) de Philémon symbolisent justement sa liberté. Fred tient à ses personnages qu’il considère comme ses propres enfants. En bon père, il tient à préserver l’âme de Philémon, sa candeur et son innocence. Pour cette raison, son fils fictif n’a pas de pupilles. Fred estime que deux traits suffisent à faire passer des émotions sans les dévoiler complètement. Il est comme ça Fred, un pied dans le monde réel, un autre dans l’imaginaire et l’enfance.
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