Retour de l’intrépide jeune journaliste, Juliette, qui décide, une fois la libération sonnée, de partir à la recherche de son amie Léa qui fut déportée avec sa famille pendant la guerre. Une aventure qui va lui faire traverser l’Europe jusqu’en Russie, au mépris du danger…
À la suite de l’album précédent, Juliette est dorénavant au cœur de la guerre, Paris est occupée et très vite l’ennemi commence sa purge juive en réquisitionnant les riches propriétés pour s’y installer. La jeune femme est alors obligée d’accueillir l’état-major nazi dans la maison familiale, tout en voyant son amie Léa se fait déporter avec toute sa famille vers les camps de concentration, en Pologne et en Allemagne. Petit à petit, elle s’engage alors dans la Résistance, en travaillant notamment pour la presse clandestine, très inquiète de l’avenir de Léa. Quand sonne l’heure de la Libération, ne la voyant pas revenir avec les prisonniers libérés, elle décide partir à sa recherche. Grace à des contacts, elle réussit à se rendre en Allemagne où elle apprend que son amie s’est échappée de son camps, qu’elle est désormais en Russie… Juliette est alors persuadée que Léa est toujours vivante.

Mademoiselle J, T. 3 - Jusqu'au bout du monde © Dupuis, 2023
La dure réalité
Résolument le volume le plus sombre de la série, le récit n’a rapidement plus rien de « jeunesse » dans la forme et le fond. Il ne s’agit plus non plus de simplement vanter les mérites de l’héroïne, mais de la confronter à une réalité sans compromis, la violence des camps et les conditions de vie de ces milliers de prisonniers massacrés au nom d’un idéal barbare. Le scénario insiste sur les traumatismes qui ont suivi la libération, quand les nombreuses exactions abjectes qui se sont déroulées dans les camps sont venues hanter les survivants, comme la malheureuse Léa. Toutefois, Yves Sente insiste aussi sur le fait qu’après la guerre, la situation resta tout de même assez compliquée et tendue, et c’est avec ces « complications » que Juliette va devoir jongler pour franchir tous les obstacles qui vont se présenter à elle.
Juliette, héroïne, partout toujours !
L’émotion est donc le véritable moteur de cette histoire. On ne peut rester insensible devant la détermination de l’héroïne pour traverser la Russie, persuadée que Léa a pu échapper à l’assassinat des siens. Toutefois, la belle Française reste surtout une héroïne transcendée par son objectif noble et généreux. Elle bénéficie aussi d’une chance insolente, elle parvient à se sortir de toutes les situations, d’autant que chaque rencontre se transforme immanquablement en expérience positive. Chacun veut l’aider et malgré quelques pointes de danger, tout est neutralisée en quelques cases.
En cela, Juliette devient davantage le témoin d’une réalité qui permet de lui donner de la profondeur, de la texture. On se rend bien compte qu’il n’est pas réellement question de la mettre concrètement en danger, mais d’exalter sa personnalité, sa volonté. Elle s’engage auprès de la résistance, fait les bonnes rencontres qui lui permettent de mener une carrière de journaliste chevronnée, elle qui est prête à escalader des montagnes pour aider ceux qu’elle aime. Elle reste ce personnage qui fait briller les yeux du jeune auditoire de l’Oncle Paul, qui les fait rêver à un idéal intègre et passionnant, plein d’aventures palpitantes.

Mademoiselle J, T. 3 - Jusqu'au bout du monde © Dupuis, 2023
Finesse et beauté
Au fil de l’album, dès les premières scènes où Paul arrive entouré des enfants qui attendent impatients le moment où il leur racontera une histoire, au passages plus durs, quand on découvre petit à petit ce qu’il advient de tous ces prisonniers (les auteurs restent tout de même pudiques dans ce qu’ils évoquent, plus que de véritablement montrer), jusqu’à la fin, avec le retour à Paris, on ne peut qu’être touché par la subtilité de l’écriture d’Yves Sente et la virtuosité graphique dont fait preuve Laurent Verron, magnifiquement accompagné des couleurs d’Isabelle Rabarot.
Un violent réquisitoire sans appel sur cette époque trouble. Même s’il fait attention au ton qu’il emploie, Sente ne fait pas semblant de lisser les choses. Un album qui fait réfléchir.