Gilles Bertin, leader du groupe punk Camera Silens, sombre dans la drogue et la délinquance, avant de participer à un braquage en 1988 et de fuir à l’étranger pendant 30 ans. En 2019, le dessinateur Stéphane Oiry découvre son histoire et en fait une bande dessinée, mêlant récit personnel et portrait d’une époque marquée par le punk, la drogue et le sida.
Gilles Bertin est le chanteur et bassiste du groupe punk bordelais Camera Silens, qui émerge au début des années 1980. Il vit en colocation avec les autres membres du groupe et quelques amis. La vie est précaire, mais la passion les fait tenir. Leur véritable ennemi, c’est l’héroïne, à laquelle plusieurs succombent, dont Gilles. Il tente de décrocher en s’isolant à la campagne avec un ami, mais l’expérience tourne court. En 1982, Camera Silens participe à un tremplin organisé par Rockotone à Bordeaux. Le groupe termine deuxième derrière Noir Désir, mais lorsque Bertrand Cantat se sépare de ses musiciens, Camera Silens hérite du prix : huit jours d’enregistrement en studio. Leur premier album, Réalité, voit enfin le jour. C’est aussi à cette époque que Gilles rencontre Nathalie, elle aussi dépendante. Pour financer leur consommation, ils commettent des cambriolages. Gilles finit par se faire arrêter et passe par la case prison. Ce passage, paradoxalement, lui permet de décrocher de la drogue et de nouer de nouveaux contacts. À sa sortie, il retrouve son groupe et devient père d’un petit Loris, né en 1986. Mais son intégration dans la société reste difficile. Il replonge dans les cambriolages avec ses anciens codétenus. En 1988, ils réalisent un gros coup : le braquage de la Brink’s à Toulouse, pour un butin de 11,8 millions de francs. Après ce casse, la bande se disperse. Gilles part en cavale, d’abord en Espagne, puis au Portugal, où il ouvre un magasin de disques. Il restera fugitif pendant trente ans.

Une planche de la BD "Les Héros du peuple sont immortels" de Stéphane Oiry. © Dargaud
En 2019, le dessinateur Stéphane Oiry découvre sa vie lors de l’émission radio Histoire Particulière. Touché par la voix pleine de remords de Bertin, loin de l’image du punk rebelle, il se plonge dans ses mémoires, puis prend contact avec lui. Leur rencontre donne naissance à un projet de bande dessinée, que Bertin accepte avec enthousiasme, lui qui a toujours été passionné de neuvième art.
À travers le parcours de Gilles Bertin, Stéphane Oiry ne se contente pas de raconter une trajectoire individuelle ; il peint une époque. Celle des années 80, marquée par une jeunesse désabusée, la montée du sida, l'explosion de la scène punk et la banalisation des drogues dures. Le récit mêle intimité et contexte social, en explorant les désillusions, les fractures, mais aussi les élans de révolte d’une génération en quête de sens.
Fidèle à son style, Oiry adopte un découpage clair et rigoureux, qui confère à l’ensemble une grande lisibilité. Son approche graphique, très cinématographique, multiplie les cadrages travaillés. Les scènes sont rythmées, presque chorégraphiées, et soutenues par un sens du montage qui guide le regard sans jamais le perdre. Mais ce qui impressionne surtout, c’est la richesse documentaire et la précision du trait. Rien n’est laissé au hasard : les décors urbains, les voitures, les intérieurs, les affiches punks ou les T-shirts des protagonistes sont soigneusement restitués, offrant une immersion totale dans l’atmosphère de l’époque.

Une planche de la BD "Les Héros du peuple sont immortels" de Stéphane Oiry. © Dargaud
Ce souci du détail donne au lecteur l’impression de marcher aux côtés de Gilles, dans les rues de Bordeaux, dans les cellules de prison, ou sur les routes de l’exil. Le réalisme du dessin, associé à la sobriété du ton, renforce la portée émotionnelle de l’album, sans jamais tomber dans le pathos.
Au final, Oiry signe bien plus qu’un portrait biographique : il propose une réflexion sensible sur la rédemption, les errances et la possibilité de renaître, même après avoir touché le fond. Une œuvre sincère, profondément humaine, et d’une grande maîtrise artistique.