Tchang Tchong-Jen : artiste voyageur

La sortie du Lotus bleu avec un nouveau coloris et des dessins de 1936 en concomitance avec un livre sur l’artiste chinois Tchang Tchong Jen qui inspira à Hergé le personnage de Tchang, permet de revenir sur cette relation qui marqua l’histoire de la BD.

Hergé et Tchang, Tchang et Tintin, Tintin et Hergé, Jamais trio n’aura à ce point passionné les bédéphiles, tant le réel s’entremêle avec l’imaginaire. Hergé et Tchang se côtoient à partir de 1934. Tintin rencontre Tchang dans Le lotus bleu. Hergé dessine à la fois Tintin et Tchang… Tous trois forment ainsi un triptyque fabuleux, où chaque panonceau se découvre seul avant que le tableau, dans son ensemble, ne prenne toute sa dimension.Si l’on a pu dire que Tintin fut l’aventurier qu’Hergé aurait voulu devenir ou même qu’il fut le fils qu’il n’eut jamais, ne pourrait-on pas aussi affirmer que Tchang incarna l’artiste qu’Hergé aurait aimé être ? Non pas que le maître de la ligne claire fut dépourvu de talent - il a tout de même porté le 9^e art au firmament – mais il se rêvait plus en Rothko ou en Pollock... Tchang lui, devint un aquarelliste apprécié et un sculpteur reconnu (notamment du buste d’Hergé à Angoulême). Le livre Tchang Tchong Jen, artiste voyageur permet ainsi de découvrir les œuvres extraordinaires de celui que l’on surnommait injustement en Europe « l’ami chinois d’Hergé ».

Hergé et Tchang, l’artiste sédentaire et l’artiste voyageur. Si Hergé fut moqué pour voyager par procuration à travers Tintin, Tchang quitte la Chine à 23 ans pour découvrir l’Europe. Une photo le montre alors culotte de golf et chemise blanche... Il ne rencontre pourtant Hergé que 3 ans plus tard. Le dessinateur cherchait à se documenter sur l’Empire du milieu. Cette réédition du Lotus bleu avec de nouvelles couleurs, met ainsi en avant l’influence de l’art oriental dans cette BD avec ces idéogrammes, ces bambous dessinés au pinceau, ces décors exotiques et peut-être déjà cette nouvelle façon d’occuper l’espace, un peu comme ces calligraphies à la fois si centrales et si légères. Cet album où les déplacements en train sont aussi incertains résonne différemment quand on sait qu’Hergé avait raté le départ de son ami à la gare de Bruxelles-midi en 1935... Ils ne se reverront qu’en 1981. Étrange retrouvaille que cette rencontre, avec Hergé affaibli par une leucémie, pour une amitié sublimée (une seule année ensemble finalement puis une correspondance de quatre ans) qui scelle 47 années en parallèle, avec Hergé accusé à la Libération et Tchang bientôt victime des purges maoïstes avant les succès et la reconnaissance.

Tchang Tchong-Jen - Artiste voyageur © Dominique Maricq, Tchang Yifei, Tchang Tchong-Jen - Casterman

Tintin et Tchang Tchong. Une même allitération dans les noms, heureux hasard qui lie encore plus ces deux personnages. Dans Le lotus bleu, Tintin trouve son alter ego. Il affronte les mêmes dangers, se bat et prend des initiatives. Il devient ainsi le seul ami du même âge que Tintin n’ait jamais eu… 24 ans plus tard, Tintin se précipitera au Tibet pour rechercher Tchang. Étrange retrouvaille également mêlant Tintin, Hadock, Tchang et un Yéti, avec Hergé encore en séparation avec sa femme Germaine et déjà en relation avec Fanny. En retrouvant son double, Tintin sortira de cette aventure, transformé. Le lotus bleu avait constitué une rupture avec des histoires plus construites, des rebondissements plus travaillés, des traits plus précis. Était-ce l’apport de Tchang ? Son retour en tout cas finalise un cycle. Les trois albums qui suivront ne seront plus les mêmes, comme si, avec Tchang, Hergé et Tintin s’étaient finalement retrouvés et que le petit reporter avait grandi.