Erasme Deer vit avec pour seul compagnon son cuisinier taciturne entre les murs de son immense propriété coincée dans la cavité creusée d’une paroi rocheuse. Évoluant entre réalité et imaginaire, entre présent et passé, le vieil homme mène une vie symbolique.
Dans les contes, il ne pleut jamais nous propose une bien étrange lecture. Nous suivons le héros, Erasme Deer qui traîne un sombre passé avec lequel il n’a pas complètement réglé ses comptes. Quand il traverse le village de Baomburg, les gens s’écartent de son chemin. Personne ne l’aime vraiment, mais c’est une balade quotidienne qui lui est nécessaire, son seul véritable contact avec un semblant de contact humain. Certes, il y a bien ce cuisinier qui habite avec lui, mais c’est autre chose, une certaine façon de se confronter régulièrement à la critique, aux contradictions, de dialoguer même juste un peu, au point où l’on se demande au bout d’un moment si ce cuistot existe vraiment, s’il ne représente pas en partie cette voix intérieure, lancinante, qui n’abandonne jamais…
Erasme Deed aime aussi les refuges, ces histoires de chevaliers, de dragons, de princesses qu’il griffonne sur sa pile de feuilles, sur lesquelles il butte immanquablement. Il tente de redéfinir un schéma de conte qui sort des sentiers battus, mais c’est une roue qui tourne dans le vide, encore et encore. S’il veut prendre l’air, dans la journée, il y a toujours ce tunnel qu’il découvrit un jour, après avoir racheté sa maison à son ancien propriétaire, qui le mène dans une forêt irréelle, où les histoires se mélangent aux souvenirs de ses trahisons, de ses méfaits, de tout ce qu’il voudrait peut-être oublier sans véritablement y parvenir.

Dans les contes il ne pleut jamais © Mosquito, 2024
Lecture en transparence
Et si l’on avance, tranquillement, au rythme des pages, on se rend assez rapidement compte que les premières impressions ne sont peut-être pas les bonnes, que derrière tel ou tel détail se cache une relecture de tout ce qui a précédé. Et si finalement, il ne s’agissait pas de ce que l’on s’imaginait. Deed pourrait devenir un homme reclus dans sa tour d’ivoire, s’embourbant dans le cauchemar d’un passé qui lui pèse, qu’il ne parvient pas à dépasser avec son imaginaire vaguement fantasy. Ou encore que derrière cette figure du dragon, veut-il révéler en substance une image de lui-même qui tente de se racheter une conscience…
Plus on avance, plus l’histoire se révèle troublante dans les symboles qu’elle brasse, la profondeur subjective qui nous parle de l’homme, de sa culpabilité, de ses rêves, de son rapport à la réalité et que finalement tout n’est peut-être que représentation symbolique… Un long voyage intérieur, le rendez-vous final avec l’Histoire, avec ce passé qui infuse lentement, colorant irrémédiablement ces vieilles photographies jaunissantes ou l’homme lève une arme en colère, où il observe de sa fenêtre les rangées de prisonniers qui vont remplir des wagons, où il se tient immobile avec son uniforme, passif, consentant, le sourire en coin gêné…
Dans les contes, il ne pleut jamais n’est pas une lecture simple, elle demande à y revenir.