Un homme se présente face à l’assemblée de l’Académie des sciences. Un homme… qui autrefois était un singe. Le conférencier raconte les cinq années de désaccoutumance et d’apprentissage qui lui ont été nécessaires pour quitter sa nature simiesque et se fondre dans la société humaine.
Éclairant. Adaptation de la nouvelle Rapport pour une Académie de Franz Kafka (auteur austro-hongrois de la Métamorphose et le Procès), la Conférence est un constat. Un constat sur l’humanité. Ce qu’elle est, ce qu’elle a gagné, ce qu’elle a perdu et ce qu’elle n’est plus. Il faut comprendre que Kafka vit en des temps où l'évolutionnisme de Darwin côtoie la modernisation de la société en ce début de XXème siècle : une introspection fondamentale de l’Homme vis à vis du singe est un sujet sur toutes les lèvres. Mahi Grand s’empare de ce récit de 1917 pour en faire une bande-dessinée. Et le fond y est exemplaire sur sa simplicité : un homme ne fait qu’y raconter la fin de sa vie de singe… à savoir le début de sa vie d’homme.
Les anecdotes de vie et d’apprentissage se succèdent à la fois cyniques, cinglantes et absurdes. Mahi Grand maîtrise parfaitement le récit kafkaïen, allant même jusqu’à insuffler une allure de farce à la chose. La civilisation n’est finalement qu’une vaste scène de théâtre où des animaux se prétendent autre chose. Et la liberté ? Ce à quoi les Hommes aspirent plus que tout ? Ce pour quoi nous nous battons ? Ce dans quoi nous espérons trouver l’épanouissement le plus absolu ? Le singe n’en a cure : il ne cherche qu’une issue, même en étant conscient qu’elle n’est qu’une illusion. Beaucoup attribuent le nihilisme à Nietzsche… mais Kafka a assurément posé des pierres plus fondatrices : Mahi Grand le rappelle par cette BD.

La Conférence
© Dargaud, 2022
Le visuel est d’un dynamisme déconcertant : les transitions entre le cadre de la conférence et les flashbacks racontés excellent en termes de mise en scène. Il est surtout question de regard rétrospectif d’un homme sur sa condition animale révolue : Mahi Grand n’hésite alors pas à faire arpenter le conférencier dans l’environnement de son passé. Le graphisme et la mise en scène sont en adéquation parfaite avec le récit : la mise en perspective de la condition humaine vis à vis de sa nature révolue est le sujet principal de la Conférence.
Mahi Grand propose ainsi un ouvrage passionnant où syntaxe et sémantique coopèrent efficacement pour donner corps à une idée que beaucoup penseront réductrice de l’homme et de sa condition. Mais l’individu est bien plus qu’un homme : c’est un singe devenu homme.