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L’Art de la déconfiture

Quand Pascal Rabaté s’attaque à la débandade qu’a été la drôle de guerre, il le fait avec humour, dialogues aux ciseaux et personnage principal en proie au doute. L’auteur de La Déconfiture, nous raconte comment son récit qui emprunte plus au registre du drame que de la comédie a vu le jour.

1940, la débandade intellectuelle

Comment est née l’idée de La Déconfiture ?

Pascal Rabaté : Lorsque je commence un projet, je pars toujours d’un fait divers ou d’une émotion qui me triture. Lors d’un voyage en Russie, j’ai eu l’impression d’être dans un pays de dépressifs. Et en rentrant j’ai lu des textes qui décrivaient certains pays de l’Est comme des pays en dépression. Quelque temps après, j’ai trouvé que la France avait un peu la même « odeur » apathique, sombre et noire.

La Déconfiture

J’ai eu envie de parler de cette impression mais en la ramenant à l’humain. Voici comment je suis arrivé au parallèle avec le moment de dépression collective qu’était la débâcle avec le point de vue d’un personnage, Videgrain. Je voulais raconter le destin d’un individu qui s’avance vers un inconnu pas vraiment réjouissant, tout en ne pouvant pas se défiler... Et puis, une fois qu’on commence à s’intéresser à une époque, le sujet finit par l’emporter sur l’intention première.

La Déconfiture

Mon livre commence là où Yves Gibeau finit La guerre, c’est la guerre : après six mois de caserne, son personnage se retrouve motard. Il doit faire le planton pour signaler un trou à un convoi. Après l’avoir fait, il dit merde à la guerre et rentre chez lui. Mon personnage choisit de rejoindre sa colonne. Pour le deuxième tome de la Déconfiture, je me sers plus du Journal de guerre de Jean Malaquais, que je suis en train de relire. Il y a aussi d’autres livres, que je suite à la fin de la BD, qui me servent de glaise dans laquelle je modèle mon récit.

Qu’est qui vous a attiré dans cette longue défaite ?

Deux thématiques m’intéressent particulièrement : la survie et l’adaptation. Tous mes livres parlent d’Hommes qui tombent et qui hésitent à se relever, comme Siméon dans Ibicus, quand il est perdu, ruiné et tabassé au milieu des îles turques ou Emile dans Les Petits Ruisseaux, qui décide de continuer à vivre et d’oser une nouvelle histoire d’amour.

La Déconfiture

Dans La Déconfiture, le personnage principal, Videgrain, se ment à lui-même quand il dit qu’il a peur de se faire fusiller comme déserteur : c’est surtout qu’il ne sait pas quoi faire d’autre que de retrouver son régiment ! Les gens qu’il croise sont aussi déboussolés que lui. C’est la débandade intellectuelle : on fuit, il faut emmener quelque chose, qu’est-ce qu’on prend ? Y en a qui prennent des matelas, d’autres des fauteuils ou des horloges comtoises !

Dans les témoignages, il y a plein d’anecdotes sidérantes, notamment un homme qui a fui la Pologne en embarquant une charrette de chaises ! Ce qui ralentit plus qu’autre chose ! Cette absurdité créée par toutes les situations où les repères bougent à une vitesse sidérante m’intéresse.

On retrouve un parler qui fait penser au Voyage au bout de la nuit, mais avec moins d’ironie...

J’aime beaucoup travailler tout ce qui se dit. Les dialogues sont pour moi le sel d’une œuvre tout en faisant rentrer dans une époque. En effet, Videgrain perd au fur et à mesure de son avancée son deuxième degré et son ironie, car il est face à un abîme. Il participe à la défaite, se retrouve comme un couillon avec sa colonne, mais après que se passera-t-il ? Le point d’interrogation final est immense : il a peur car il se retrouve face à un terrain complétement vierge.


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