Marie-Pascale Lescot a souffert pendant 18 mois d’une capsulite, maladie de l’épaule qui rend tout mouvement du bras très douloureux. Plutôt que de se morfondre, elle a décidé de s’en tailler un Jambon d’épaule en BD avec l’aide de la dessinatrice Fanny Benoit. Elle revient sur la naissance de cet album humoristique autour d’une maladie répandue mais méconnue.
Pas seulement autobiographique
Comment est né ce projet autour de la capsulite ?

La Balnéo rêvée
Marie-Pascale Lescot : J’étais en train d’écrire un nouveau projet de film quand, peu à peu, l’arrivée de la capsulite m’empêche de taper sur le clavier. C’est la frustration totale car je ne peux quasiment rien faire. Au bout de deux à trois mois, j’ai commencé à écrire un journal de bord de cette maladie tout en parlant beaucoup avec une amie, représentée par Prudence dans le livre, qui a aussi une capsulite.
Au bout de six mois, il y a la matière pour faire quelque chose soit un livre sérieux sur la maladie, que je n’avais pas trop envie d’écrire, soit quelque chose de plus léger. Pour moi, cette maladie a quelque chose de très visuel, avec les entraves qu’elle inflige au corps : j’imaginais donc une série de petites vidéos centrées sur des gags. Qui dit audiovisuel dit demandes de financement et beaucoup de monde impliqué, ce dont je ne voulais pas car j’en sortais. J’ai donc opté pour un autre format qui combine impact visuel fort et dialogues : la BD. Je pouvais y retravailler les gags que j’avais séquencés comme des saynètes.

La balnéothérapie dans la réalité
Et comment as-tu choisi la dessinatrice de ton histoire, Fanny Benoit ?
Dès le début, je savais que je voulais une mise en dessin légère, distanciée et avec de l’humour. Je voulais éviter à tout prix un travers plombant, parce que la capsulite n’est pas une maladie grave et que face à des BD sur des maladies très lourdes comme Pilules bleues, il fallait une sorte de « décence » ! En plus en BD, il y a énormément de très bons dessinateurs, alors lequel demander ?
Par chance, on m’a montré le blog de Fanny ! J’ai tout de suite aimé son dessin, très varié, et sa manière de se présenter : elle avait un style très drôle et très fin. Quand je l’ai contactée, je lui ai envoyé le séquencier de Jambon d’épaule et le film que j’ai réalisé. C’est ainsi qu’a débuté notre collaboration.
Comment avez-vous travaillé ensemble ?
J’avais déjà écrit beaucoup de détails mais Fanny a apporté sa patte. Tous les personnages sont tirés de personnages qui existent. Chevreuil, le fils de Rita, devait avoir un air de chevreuil car c’était le surnom que je donnais à mon fils, que je trouvais bien sûr très beau, comme toutes les mamans, avec son long cou et ses yeux en amande. Fanny en a donné un dessin un peu plus concret.

Quant au Grouch, il fallait qu’il dorme tout le temps. Je le voyais en paresseux, l’animal, avec des cheveux qui lui masquent tout le temps le visage. Fanny s’en est emparé de manière radicale : elle en a fait un homme tout le temps dans son duvet pour qu’ensuite il évolue jusqu’à sortir la tête de son capuchon.
Quelle est la limite entre autobiographie et fiction ? Rita, le personnage principal de Jambon d’épaule, c’est toi ?
Graphiquement, j’ai apprécié tout de suite ce que Fanny a trouvé pour ce personnage : au-delà du fait que je sois en effet blonde et frisée, cette énorme moumoute blonde typait parfaitement Rita.
Travailler avec quelqu’un fait prendre du recul : la première version de la BD était écrite à la première personne, avant de basculer vers la troisième personne. Rita est donc devenue un personnage autonome qui s’est détaché de moi au fur et à mesure du travail. Rita est donc très nourrie de ma vie mais on a décroché de l’autobiographie...

La douleur, moteur de l’humour
Comment avez-vous agencé ce carnet bord de la capsulite ?
On n’a jamais raisonné en cases ou en strips mais en séquences. Il n’y a jamais eu de cases à proprement parler car Fanny n’aime pas y enfermer son dessin : les séquences respirent par ce biais. D’ailleurs on a aussi tenu à garder les moments de respiration où Rita flâne dans la ville.

Paris, le remède...
Quand on a fini les 73 planches, on les a étalées pour y ordonner les saisons et en changer certains titres. Il me paraissait intéressant de marquer le temps qui s’écoule « en capsulite » : la période de douleur aiguë est terrible, étalée sur cinq mois pour moi. Lorsqu’on souffre, cette période semble interminable. Une fois qu’on a moins mal, on commence la période de récupération physique, qui dure aussi plusieurs mois jusqu’à une récupération basique.
Ensuite le temps s’accélère avec la récupération de plus en plus rapide : il fallait indiquer ce rythme. En creux, il y a ce message d’espoir : « Quoi qu’on fasse, la douleur s’en va peu à peu. »
La douleur intense fut-elle plus difficile à retranscrire en gag ?
Finalement non ! Elle prend bien un tiers du livre, le peuplant de monstres qui la symbolisent et de moments comiques sur l’impossibilité de trouver une position confortable. Ca fourmille de tas de façons de l’illustrer, il fallait juste trouver les angles pour la voir.

La première douleur
Pourquoi représenter la douleur elle-même avec tant de lames ?
Quand Rita ouvre les bras à la piscine et que la douleur se plante comme un couteau dans son épaule, c’est exactement ce que j’ai vécu ! J’avais donné à Fanny comme instruction de donner une échelle de la douleur, avec des sabres, des aiguilles, des flèches… Elle a créé quelque chose de très explicite !
Tu as d’ailleurs inséré quelques pages d’explications médicales sur ce qu’est la capsulite…
Comme la capsulite est une maladie idiopathique, c’est à dire qu’on ne connaît pas sa cause, il me semblait important que sur 80 pages, il y en ait deux qui donnent des informations. Une sorte de service minimum pour les gens qui ont une capsulite naissante et tombent sur ce livre.

Rita et l'explication de la capsulite
Plein de gens sont touchés entre 48 et 55 ans, surtout des femmes : cette maladie n’est pas grave mais elle entraîne une douleur sur plusieurs mois et finalement on laisse les gens se débrouiller avec elle. Il fallait quelques explications, en écho à tout le parcours médical de Rita qui essaie mille choses, histoire de penser à autre chose, d’éviter de rester seule avec sa douleur.
Il y a beaucoup de trouvailles graphiques comme la discussion sur post-it…
Les discussions avec mes amies existaient : Fanny a réussi à faire basculer ces échanges verbaux vers un échange sous forme de correspondance avec des dessins très simples. J’ai aussi apprécié sa combinaison de différents modes d’expression : la BD, les Post-it, une pleine page de texte ou une carte de Plonk et Replonk qui surgit...

D’ailleurs un des soucis que je n’avais pas imaginé à l’écriture était la redondance des séquences médicales, qui s’ouvraient toujours par un moment dans une salle d’attente. Pour éviter l’effet de répétition, on en a supprimé certaines.
Quels sont tes projets à venir ?
Pourquoi pas une autre BD ? Sinon j’ai aussi un projet qui fait suite à mon documentaire précédent, Le Mollet de la danseuse autour de la danse, du rugby et de la mort mais ça ne sortira pas avant longtemps !
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