Quand un spécialiste de l’Histoire de l’Art tue gratuitement, est-ce de l’Art sous la forme de crimes ou des crimes déguisés en œuvres ? Antonio Altarriba, le scénariste de Moi, Assassin nous donne des pistes de lecture.
L'Homme est-il bon ?
Peut-on parler d’un polar psychologique ?

Je dirais que c’est un polar philosophique. Ce n’est pas seulement la psychologie du personnage qui est en jeu, mais toute une série d’enjeux philosophiques. J’ai pris comme protagoniste un assassin en série, précisément pour comprendre à quel quel point nous avons expulsé de nous toute culpabilité, comme si le mal ne nous concernait pas. Il y a une tradition philosophique autour de la question « l’homme est-il bon ? A quoi est due cette capacité de nous entretuer ? Les circonstances, la perversion de quelques-uns ou la nature humaine ? ». Je pense que c’est un débat qui a occupé l’Histoire pendant des siècles, mais qui est laissé de côté ces dernières décennies.
Nous vivons dans un monde extrêmement cruel, des milliers de personnes meurent en essayant d’entrer dans nos pays riches, des contrats commerciaux soumettent à la famine des populations entières, des spéculations financières supposent la ruine de beaucoup de gens… et nous nous en foutons comme si nous n’étions pas concernés.
Cet assassin apparemment impitoyable qui agit sans motivation, est un révélateur de l’absence de réaction collective face à ce monde.
Le tueur n’a pas de motivation personnelle, mais ses actes sont justifiés…
Il tue pour l’amour de l’art : c’est un artiste. Il considère que tuer constitue l’acte artistique par excellence. Qu’y a-t-il de plus radicalement artistique que créer en donnant la mort ? Pour lui, dans ce monde où les matériaux sont tellement importants, quoi de plus transcendant que la vie humaine ? Il dit que les autres artistes cherchent la renommée, quand lui est condamné à l’anonymat pour l’art le plus pur qui soit. C’est son discours mais je pense que le lecteur peut s’interroger s’il n’y a pas finalement quelques pulsions qui le mènent à tuer certaines personnes plutôt que d’autres.

Vous utilisez vous-même une forme narrative froide.

C’est le propre discours du protagoniste qui nous guide et contamine notre perception de l’histoire. Nous traversons le livre accompagnés de la voix d’un assassin, partageant ses inquiétudes, ses vocations, mais aussi - et c’est ce qui nous semblait important – sa propre dimension humaine.
C’est un tueur en série mais, à la différence d’autres plus à la mode, ce n’est pas un perturbé. Au contraire, c’est quelqu’un de très rationnel, avec une vie professionnelle relativement brillante, une femme, une maîtresse. C’est quelqu’un de vraisemblable, que nous avons pu connaître et que peut être nous pourrions être à un moment déterminé.
J’essaie d’effacer la distance que les polars plus conventionnels installent entre l’assassin et le reste du monde. Finalement la question qui se dégage de tout ça, c’est « moi assassin, mais toi… assassin ? »
Son discours est très intellectualisé, vit-il encore des émotions ?
Je le pense. On le voit à plusieurs moments dans un état de détresse assez profonde, comme lorsqu'il se sent totalement dépassé parce qu’il apprend que sa femme va le quitter. Mais il est vrai que c’est un personnage habitué à la dissimulation, qui ne manifeste pas ses sentiments, même s’il n’y est pas aussi indépendant qu’il le voudrait. Il y a cette séquence où son regard est intense en rouge, on voit jusqu’à quel point il est tendu et que quelque chose de très profond se passe en lui.
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