Les Correspondances de Pierre Christin - T5 : La bonne vie

Ils s'appellent Hicham, Séréna, Kévin, Acacio, Louisette ou Albert. Certains ont du fric, la plupart n'en ont pas. Mais ils vivent tous au-delà du périph, sur ce qu'on appelle la Petite Couronne : Montreuil, Colombes, Arcueil, Drancy, Chatou, etc. Bon à rien notoire, il écluse des bières sur un canapé défoncé. Jeune et jolie, elle s'ennuie en attendant l'amour. Facteur Cheval de banlieue, il peaufine la déco de son pavillon. Soigneusement maquillée, bien peignée et veuve, elle s'envoie neuf heures de télé par jour. Sans papiers et sans attaches, il s'offre le plaisir d'aller voir trotter les chevaux de Vincennes. Il joue du rock dans un garage, ils tapent le carton en parlant du pays, ils coulent des jours paisibles sur une péniche immobile, elle tricote, il jardine, elle pense trop, etc. Les uns trouvent que c'est carrément la bonne vie, les autres que ce n'est pas la mauvaise vie. En tout cas, c'est la vie. Et puis Christin nous balance une bombe. Une vraie, dans le R.E.R. Et l'idée forte, c'est que tous ces gens qui étaient dans le RE, pour une fois, on les connaît. On les a vu vivre, on les aime déjà un peu et on les voit continuer à vivre après. Rien de sensationnel, jute quelques variantes parfois infimes : elle tricote toujours, il pense toujours mais ne jardine plus. Pour certains, c'est beaucoup mieux, pour d'autres, c'est légèrement pire ou à peine moins bien. Peu importe. La vie continue, avec cette mélancolie chavirée que Christin sait colorer d'humour et de tendresse. Quant à Cabanes, il restitue avec force la lumière de chacune de ces vies et le charme particulier de ce no-man's land : ce n'est pas le béton des cités " sensibles ", ce n'est pas non plus Paris. C'est quelque chose de plus ancien, de plus disparate, perdu et chaleureux à la fois. un lieu circulaire où, vaille que vaille, il fait bon vivre.