Elsie A.

Dans un Mexique du début du XXe siècle, une femme part sur les traces d’une mystérieuse sculpture et d’un mari disparu. Entre ésotérisme, tensions coloniales et quête intime, le récit interroge le pouvoir, la mémoire et l’identité.

Au tout début du XXe siècle, au cœur du Mexique, une Indienne découvre, flottant dans un étang, un étrange morceau de bois sculpté. Intriguée mais sans en saisir la portée, elle le cède à un marchand de passage. Celui-ci, flairant une curiosité, le vend à un Européen, qui l’expédie à Bruxelles parmi d’autres artefacts. C’est là qu’Elsie Appelbaum entre en possession de l’objet. À peine l’a-t-elle découvert qu’un profond malaise l’envahit, une angoisse sourde qui la pousse à entreprendre un voyage vers les origines de cette énigmatique sculpture. Son périple la mène jusqu’à San Miguel, village reculé, presque oublié, isolé dans les terres mexicaines. Lors du trajet, l’une de ses malles se perd, comme un mauvais présage. Sur place, elle trouve refuge chez le curé, l’un des rares européens installés dans cette région. Sous le même toit séjourne une jeune Indienne, en proie à des crises d’hystérie que les bonnes sœurs peinent à contenir. Le prêtre l’a recueillie quelques jours plus tôt dans un village voisin, espérant la soigner, mais ses efforts demeurent vains. La famille de la jeune femme, inquiète, souhaite la reprendre, mais le curé refuse obstinément tout contact avec ces derniers. Pour célébrer l’arrivée d’Elsie, il convie le capitaine Salvarez, un Espagnol chargé du maintien de l’ordre dans la région. Au cours du dîner, Elsie se confie : elle est revenue au Mexique pour retrouver son mari, un archéologue missionné sur des fouilles dans la région, dont elle est sans nouvelles depuis deux mois.

Cyril Pedrosa, figure majeure de la bande dessinée contemporaine, retrouve Roxanne Moreil, avec qui il avait déjà signé L’Âge d’or, pour écrire le scénario de cet album aux résonances multiples. Le récit mêle habilement plusieurs thématiques : la quête d’un mari disparu, la condition des femmes de l’époque, les abus de pouvoir des colons sur les peuples autochtones, et en filigrane, les tensions intimes du couple. Porté par une atmosphère empreinte d’ésotérisme, ce tissage subtil d’enjeux historiques et personnels se déploie avec finesse, bien que parfois de manière un peu trop elliptique, donnant à l’album une brièveté qui laisse le lecteur sur sa faim.

" Porté par une atmosphère empreinte d’ésotérisme, ce tissage subtil d’enjeux historiques et personnels se déploie avec finesse " © Dargaud, 2025 - Pedrosa, Moreil et Bernadou

Karine Bernadou illustre ce récit avec un trait chaleureux et vibrant, dont la parenté avec celui de Pedrosa se fait sentir sans jamais tomber dans l’imitation. Chaque planche est une composition picturale, baignée de couleurs intenses et de formes évocatrices, qui confèrent à l’histoire une aura magique et sensorielle. Illustratrice touche-à-tout, active dans l’édition jeunesse, la presse et la bande dessinée, elle insuffle à l’album toute la richesse de son univers. De cette fusion naît un conte graphique envoûtant, où le mystère se mêle à la beauté des images, dans une symphonie d’ombres, de lumière et de silence.