L’Héritage Wagner captive, narrant les jeux de l’amour et du pouvoir au sein d’une famille de la haute société allemande : composant avec le nazisme, elle a ensuite dû en assumer le lourd héritage. Un opéra de papier.
Peut-on continuer à organiser un festival de musique consacré à Richard Wagner dans l’Allemagne de l’après-guerre tout en évitant les chausse-trapes des nostalgiques du IIIe Reich ? C’est la question délicate qu’aborde ici Stephen Desberg. Les lecteurs attentifs de son œuvre ont pu remarquer que la musique classique est un thème qui lui est cher. Sa mère l’a même fait grandir avec Wagner et le festival de Bayreuth qui lui est dédié.
L’Héritage Wagner rappelle qu’Adolf Hitler était appelé « Oncle Wolf » par les petits-enfants de Wagner dont le dictateur fréquentait la maison de famille avant-guerre. Nous suivons dans les années 1960 les deux petits-fils de Richard Wagner, Weiland et Wolfgang, gérant chacun à sa manière l’héritage de leur grand-père dans le cadre du festival de Bayreuth. La sensuelle Anja, chanteuse d’opéra, est comme un chien dans un jeu de quilles au milieu de cette famille écrasée par le poids du passé, partagée entre un respect servile des traditions aryennes et une émancipation artistique salutaire. Et Weiland cache un lourd secret sur ses années de guerre… Desberg a su créer une ambiance délétère.

L'Héritage Wagner © Grand Angle, 2023
Et Emilio Van der Zuiden s’engouffre avec tout son talent dans cet univers. Ses compositions graphiques apportent de l’harmonie et de la fluidité quand le scénario se complexifie. Lors des affrontements entre les personnages, il resserre ses cadrages tout en posant sa caméra là où il faut pour varier les plans avec justesse. Sa ligne claire réaliste fait mouche, mise en valeur par les couleurs particulièrement réussies de Jack Manini. L’alliance de ces deux artistes donne un cachet particulier à l’album que les amateurs de dessin élégant et de teintes subtiles ne pourront qu’apprécier.
Après le particulièrement réussi Aimer pour deux, le duo Stephen Desberg et Emilio Van der Zuiden clôt ici joliment sa trilogie autour de la Seconde Guerre mondiale.