
Théo Grosjean nous emmène dans les coulisses du Spectateur
Si Le Spectateur est paru en avril dernier, Théo Grosjean l'a écrit en 2019, bien avant L’Homme le plus flippé du monde. La BD
12 mai 2021
-Interview
Éditeur : Soleil
Scénario : Théo GrosjeanDessin : Théo Grosjean
Prix : 18.95€
Scénario
Dessin
Samuel naît muet, du moins c’est ce que pensent ses parents. Et c’est à travers ce prisme et son regard que le fil de sa vie se déroule, autour d’un sentiment étrange : celui de n'être que le spectateur de sa propre existence. En effet, du fait de son mutisme, Samuel ne parvient ni à interagir, ni à influer sur les événements auxquels il est confronté… Un subtil délice doux-amer.
Le Spectateur propose une expérience narrative assez rare en bande dessinée : l'ensemble du récit est vu par les yeux du personnage principal. Si l'exercice est périlleux, Théo Grosjean s'en sort haut la main!
Samuel naît sans pousser de cri. Cela surprend ses parents, comme le personnel médical. Au fil de son existence, il ne prononce pas un seul mot, tout étant pourtant physiquement en place pour qu’il puisse s’exprimer de manière sonore. Quel que soit ce qu’il ressent, il l’exprime par le dessin. De ces différentes singularités découlent des situations aux conséquences, positives ou tragiques, surprenantes et fréquemment décisives.
Dès le début, Théo Grosjean place son récit sous le signe de l’expérimentation. Si l’histoire débute avec la naissance du personnage principal, chaque situation est perçue de son point de vue. Alors, lorsqu’il se sent mal, ce qu’il voit apparaît déformé. Le projet de Théo Grosjean semble être de saisir une existence de la manière la plus subjective et complète possible. Celle de Samuel défile sous la forme de scènes plutôt courtes montrant et donnant à ressentir ce qu’il vit, comme ce qu’il génère chez les autres. Le Spectateur est ainsi un album sur l’exercice du regard.
Samuel ne parvient ni à interagir, ni à influer sur les événements auxquels il est confronté
© Soleil
Théo Grosjean construit ses pages selon le principe du gaufrier, à raison de six cases par page. Son dessin semi-réaliste, plus ou moins souple et fréquemment riche en détails, est en décalage avec la noirceur du propos, mettant celle-ci particulièrement en valeur. Il en va de même du choix des couleurs (bleus et gris). Cela colle bien à l’humour, noir et grinçant, pratiqué par l’auteur. Ce dernier n’a pas froid aux yeux, s’aventurant sur des terrains glissants, sans négliger les moments oniriques, poétiques et mélancoliques. Le Spectateur peut ainsi déstabiliser, voire déranger. Et si l’on croit d’abord à un simple exercice de style, force est de constater qu’il s’agit d’une œuvre dense, intense et poignante.
Article publié dans le n°80 du Mag ZOO - Mars - Avril 2021