Thierry Murat n’est pas l’auteur le plus connu du catalogue Futuropolis. Pourtant, pour qui suivrait sa production régulière en bande dessinée, Animabilis représente une forme de révélation : son grand œuvre est en cours de création. Une production cohérente, qui n’en finit pas d’explorer le même sillon sous différentes approches et emporte son lecteur une fois de plus.
Au cœur du XIXe siècle, un journaliste mène l’enquête sur de mystérieux décès d’animaux dans la campagne anglaise. Entre peur du diable et décès de moutons, Victor de Nelville doit faire le tri et rapporter la réalité des faits. Du moins, tel est le prétexte invoqué par Thierry Murat.
En réalité, Animabilis est un long questionnement sur l’homme, son rapport à la femme, à l’art, à la solitude, comme pour les précédents albums qu’il a publié. En grand artiste,Thierry Murat revient aux sujets qui semblent l’obséder. Comme s’il cherchait toujours à comprendre, comme si sa matière lui échappait sans cesse,de sorte qu’il lui faille l’étudier encore et toujours sous de nouveaux aspects.Un photographe captant l’âme des nations indiennes. Un vieux pêcheur pris dans une course-poursuite avec la nature. Un ex-taulard en quête d’une mystérieuse femme. Et pour Animabilis, le poète journaliste qui ne sait comment poser des mots sur le mystère de la femme...
Un auteur qui se livre et qui touche
Toujours cet homme seul, dans la force de l’âge. Toujours ces personnages qui donnent à voir le réel. Toujours ces hommes qui aiment une femme mais demeurent inféodés à l’objet de leur amour. Toujours cette force de la nature incarnée par une femme, appelée ici sorcière car elle incarne une pulsion de vie répondant à des codes que le patriarcat réprouve. Thierry Murat n’est pas le plus bavard des auteurs, sur les réseaux sociaux, mais pour qui suit les mots qu’il y sème, il fait peu de doute qu’une fois encore, c’est lui qui est en scène. Que ce sont ses doutes, ses questions, ses passions et ses amours, qui sont illustrés.

C’est en cela qu’il est artiste. Parce que d’un questionnement individuel, il fait des enjeux généraux, des mots qui frappent notre inconscient. Glorifiant la poésie et le pouvoir du verbe au fil des pages, chacune des flèches qu’il décoche ne fait pas forcément sens immédiatement. Mais pourtant, le lecteur sait qu’il est touché. Il sait que les mots du poète Murat ont porté. Des mots qui, selon le narrateur, écrivent leur vérité « pour dire au monde d’essayer de trouver lui-même la sienne ».
L’artiste, maître du temps qui passe
Et puis il y a le temps qui passe : la narration. Murat est de ces bédéastes qui obligent à prendre le temps, dont les cases mêmes ralentissent de sorte à vous imposer leur rythme.
Ce qui aurait pu se transformer en de la rigidité, devient une clé de compréhension. Le lecteur de BD est censé garder la maîtrise du rythme, Murat démontre qu’il n’en est rien. Le lecteur devra s’arracher de lui-même, s’il veut reprendre le contrôle. Mais il préfère entrer dans la peau de Victor de Nelville, entrer dans la tête de Thierry Murat. Le contrôle viendra après, une fois le livre refermé. Quand on se retrouvera seul, avec les émotions et les questions accumulées au fil des pages. Quand on laissera alors libre cours à nos propres pensées. Ce temps de silence en soi, une fois l’album refermé, c’est encore du Thierry Murat.
Voilà donc un ouvrage passionnant, qui met en exergue le travail d’un artiste, qui met en lumière l’Œuvre qui entre en cohérence et en existence. Que Murat bénéficie du temps pour le faire, montre qu’il est soutenu par un éditeur qui a très bien compris qui il accompagnait.
Article publié dans le magazine Zoo n°68 Novembre - Décembre 2018
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