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Antigone, rebelle contemporaine sur Ulule

Transposer le classique qu’est Antigone de nos jours pour en faire une BD, voici le pari un peu fou qu’a fait Jop. Il a accepté de nous décrire son projet Ulule déjà financé à 400 %, encore ouvert durant deux jours !

Antigone, l’éternelle rebelle

Avec Antigone, vous revenez à vos premiers amours : l’illustration et plus particulièrement la BD...

Jop : En effet, c’est la BD qui m’a poussé vers le dessin quand j’étais gamin. Ensuite, j’ai suivi une formation en arts appliquées à l’école Pivaut de Nantes. Dans cette école, en deuxième année, il faut choisir entre graphisme, illustration, bande dessinée ou animation... Je n’avais pas vraiment envie de choisir, mais j’ai opté pour le graphisme, en me disant que je trouverai plus facilement du travail. J’étais du genre rêveur mais quand même inquiet pour mon avenir ! Je ne regrette pas ce choix, car j’ai beaucoup appris. Notamment en ce qui concerne l’utilisation des logiciels de conception comme Photoshop, Illustrator...

Mon diplôme en poche, j’ai commencé par bosser dans des agences de communication, là encore j’ai appris pas mal de choses. Je me suis aussi rendu compte que designer des étiquettes de boîtes de cassoulet, ce n’était pas forcément ce que je préférai faire ! [sourire] Même si, évidemment, le graphisme ce n’est pas que ça. Aujourd’hui je suis freelance, ce qui me laisse donc plus de temps pour travailler sur mes projets personnels, plutôt liés à l’illustration et la bande dessinée...

De quoi est née l’idée d’adapter le mythe d’Antigone en BD ?

Ça a commencé tout simplement par la lecture d’Antigone de Jean Anouilh, il y a un peu plus d’un an ! Je ne me souviens pas l’avoir étudié en classe, donc c’était une vraie découverte ! A peu près en même temps, j’ai lu Le Quatrième Mur de Sorj Chalandon, roman qui raconte comment un metteur en scène essaie de faire jouer Antigone à Beyrouth, à de jeunes acteurs appartenant aux différentes factions politiques et religieuses impliquées dans la guerre du Liban dans les années 80.

Ce roman m’a fait réfléchir à l’aspect intemporel de ce mythe. Antigone est un symbole, celui de la contestation et de la rébellion. Aujourd’hui comme hier, il y a des gens qui s’opposent à l’ordre établi. L’actualité nous interroge encore sur les limites de ce qu’on peut accepter du pouvoir...

J’ai été aussi marqué par mes passages sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Je conseille d’ailleurs la lecture de l’Eloge des mauvaises herbes sous-titré Ce que nous devons à la ZAD paru aux éditions Les liens qui libèrent.


Durant mes recherches pour écrire et dessiner Antigone, je me suis beaucoup intéressé à la contestation à notre époque. Chemin faisant, j’ai appris aussi pas mal de choses sur l’anarchie en tant que philosophie politique. En réalité, je ne suis pas quelqu’un de très engagé... sans doute pas assez. J’admire la détermination d’Antigone mais j’ai aussi beaucoup d’empathie pour l’oncle Créon, enfermé dans sa volonté de maintien de l’ordre.


Je crois qu’on est beaucoup à vouloir que des choses changent dans notre société mais assez peu nombreux à se retrousser les manches pour participer…

De quoi est née graphiquement votre héroïne, qui a tout d’une punk très contemporaine ?

La coiffure et le style punk, sont peut-être dus au fait que je vive à Rennes et que j’ai croisé dans la rue ou dans les bars un peu alternatifs, pas mal de filles qui ont ce style, cette coiffure. Ça a dû rentrer dans mon imaginaire, puisque ce look représente pour moi, à un certain niveau, un esprit rebelle.

J’ai aussi essayé de ne pas coller à Antigone des vêtements trop genrés et je voulais aussi qu’elle ait une forme d’élégance « noble » puisque dans le mythe originel, elle est fille de roi. Dans ma BD, son look lui permet d’incarner une gamine assez introvertie et sombre, issue d’une famille de classe moyenne supérieure, influencée par les milieux alternatifs qu’elle fréquente.

Oser adapter un chef d’œuvre

Pourquoi avoir transposé Antigone dans une époque contemporaine ?

Avant même d’avoir l’idée de faire une BD du mythe d’Antigone, j’ai réalisé quelques illustrations sans autre finalité que d’imaginer le personnage dans un décor contemporain. Ensuite s’est posée la question de la réécriture. Jean Anouilh avait déjà proposé une variante contemporaine du mythe à son époque, se servant habilement de l’abstraction d’une scène de théâtre. Il n’avait pas cherché à « dater » l’action, usant d’anachronismes pour que cette histoire de roi et de princesse puisse être jouée sans que ses acteurs soient habillés en toge et sandales !


J’étais donc très admiratif de son travail de réécriture et j’avoue qu’à l’idée de me lancer dans ma propre adaptation du mythe, je ne me sentais pas vraiment à la hauteur...

A ce moment-là, j’ai échangé quelques messages avec Aurélien Ducoudray que j’ai rencontré au festival Quai des Bulles. Il avait aimé mes premiers dessins sur Antigone et quand je lui ai parlé de ma difficulté pour l’adapter, il a répondu : « Ne te laisse pas écraser par le texte, retire en juste le squelette et bâtis ta propre histoire autour. ». Ça sonne un peu « grand sage », mais le conseil était bon. [sourire] Je suis donc parti du personnage que j’avais dessiné, imaginé son passé et lui ai trouvé un contexte actuel pour exprimer sa contestation.

Votre palette de couleurs semble polarisée sur un bleu et un orange très saturés, couleurs qu’on n’attribue pas spontanément à une histoire antique, comment l’avez-vous élaborée ?

En général, je ne suis pas tellement à l’aise avec la colorisation de mes dessins. J’aime bien le noir et blanc. Comme l’histoire commence en début de soirée et se termine dans la nuit, ces couleurs simples étaient idéales car elles fonctionnent bien pour représenter la nuit et ses lumières. La mise en couleur s’efforce aussi de nous alerter sur le drame qui se prépare. Si le bleu reste conducteur, la couleur qui l’accompagne change au long du récit, le jaune vire de plus en plus au orange puis au rouge...

Qu’a imposé la transposition en BD de cette pièce où les dialogues ont une place centrale ?

La BD est aussi un médium qui aime les dialogues. C’est du théâtre en bulles ! Les personnages doivent être expressifs et il faut qu’on les entende crier, pleurer ou rire. La contrainte venait plutôt du format. Au départ, le projet devait tenir sur une vingtaine de pages, ce sera un peu plus mais ça reste court. De toute façon, les dialogues en BD ne peuvent évidemment pas être aussi longs qu’au théâtre. Il faut privilégier les phrases courtes et s’affranchir des longues tirades.

Pourquoi avoir proposé ce projet sur Ulule ?

J’ai choisi Ulule parce que c’est un bon moyen de faire connaitre et de voir si il y a un public pour le projet. Et puis les éditions Goater, qui publient cet album, restent une petite maison d’édition indépendante : la concurrence est rude et un livre catapulté en librairie peut parfois disparaître un peu derrière les blockbusters !

D’ailleurs le livre ne sera en libraire qu’en janvier 2019. Les préventes sur Ulule permettent ainsi de proposer la BD en avant-première avec des contreparties sympas et des dédicaces. On est très content de notre choix, puisque l’objectif des 100 préventes a été largement dépassé. On va donc pouvoir augmenter le nombre de tirages et rajouter des pages !

Vous venez d’être sélectionné pour un nouveau prix, le prix Tremplin Caisse d’épargne pour Jazzman, pouvez-vous nous dire deux mots sur cet autre projet ?

En fait, c’est un projet qui existait avant Antigone, c’est même mon premier gros projet BD. On la imaginé avec un pote, pendant ma dernière année d’étude et c’est devenu ensuite une sorte de laboratoire pour expérimenter la bande dessinée. A un moment, j’ai cru que ce serait ma première publication, mais c’était sans doute trop ambitieux pour un premier projet ! Et avec le recul, heureusement qu’aucun éditeur n’a accepté de le publier, parce que ce n’était pas assez mûr.

Avant l’été, j’ai décidé de retravailler quelques planches, de revoir mon histoire aussi, puis j’ai envoyé le dossier pour la Bourse Tremplin, en me disant que c’était une bonne manière de tester cette nouvelle mouture.

Du fait d’être sélectionné, je me dis que j’ai peut-être bien fait de persévérer et de croire en ce bon vieux Jazzman !

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Commentaire (1)

Merci pour cette belle découverte !

Le 29/09/2018 à 23h38