Quiproquo et anachronisme maitrisés
Achdé, comment avez-vous travaillé votre trait pour coller à celui de Morris ?
Achdé : Avec les essais, j’ai passé six mois à repérer les gimmicks du dessin de Morris pour avoir une gamme d’expressions de base. Je voulais aussi bien comprendre la construction de planches de Morris. J’ai beaucoup travaillé pour libérer mon encrage pour me rapprocher de celui virtuose de Morris.

Copier un dessin c’est une chose mais digérer une technique de découpage et de narration c’en est une autre. J’ai découvert les planches originales de Morris l’année dernière, quand on a ouvert le coffre les contenant pour l’exposition. J’étais hyper heureux d’avoir ouvert celui contenant Ma Dalton, un des albums que je trouve le plus abouti. Cela faisait quatorze ans que je travaillais à l’aveugle : voir ces originaux m’a conforté dans certains choix et libéré pour La Terre Promise !
Et quels changements avez-vous amenés ?
Achdé : Dans cet album, j’ai osé certains plans que Morris n’aurai pas abordés de cette manière. Comme il s’inspirait du cinéma de son époque, il n’aurait pas fait le plan de fuite du canyon. Mais s’il était encore vivant, il l’aurait sûrement fait car il aurait assimilé les évolutions du cinéma.

Comment travaillez-vous ensemble ?
Jul : Il m’a fallu faire primer le récit au long cours sur les sketchs. Dans Silex and the City, la narration est un prétexte à une suite de gags alors qu’avec Lucky Luke, il fallait que la famille fasse une grande traversée et vive de nouvelles choses à chaque étape. J’ai donné un scénario très découpé et dialogué à Achdé. Il l’a pris et retouché donc on a discuté pour mettre en place ensemble le matériau de base.
Achdé : J’aime beaucoup le moment du découpage car je pose la caméra là où je veux. Ce moment est celui où je prends ma liberté par rapport au scénariste : comme disait Raoul Cauvin « Au cinéma, on ne demande pas au scénariste de tenir la caméra ! »

Comment est arrivé le thème de cette BD ?
Jul : J’aime beaucoup les albums où un élément extérieur arrive au Far West et devient source de quiproquos, comme Le Pied-Tendre ou Le Grand Duc. J’ai donc fait des recherches sur quelles populations immigrantes n’ont pas encore été représentées : il y avait les Juifs et les Noirs. J’ai commencé par écrire sur les Juifs car c’était une histoire plus solaire, je me sentais pas encore prêt pour aborder par le gag la grande tragédie qu’a été l’esclavage. Je me laisse du temps : ce sera mon défi !
Comment piochez-vous les références historiques, sources de gags ?
Jul : LA règle dans Lucky Luke est qu’il n’y a jamais d’anachronismes : il faut donc étayer toutes situations aussi burlesques qu’elles soient par des faits historiques. On a donc cherché des photos et documents sur les pionniers juifs de l’Ouest. C’était assez facile car il y en a beaucoup, à commencer par le fabricant de jeans Levi Strauss qui ouvre ses premières succursales dans le Montana et le Dakota alors que Lucky Luke parcourt l’Ouest. Ses pantalons deviendront l’uniforme du cow-boy !
Les gags naissent souvent des recherches: quand on a découvert l’existence des Indiens blackfoot, c’était une super source de jeux de mots ! Souvent l’information amène le gag et les deux se marient.

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