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Le Voyage d’une époque

« Le plus intéressant chez moi, c’est ma femme »

Comment as-tu fait pour restituer l’ambiance de cette époque ?

Éric Cartier : C’était vraiment le corps du boulot. C’est bizarre la mémoire : on a toujours l’impression de se rappeler, mais en fin de compte on survole les souvenirs. Lorsqu’on essaie de se fixer sur un souvenir précis, c’est difficile de retrouver l’intégralité des détails.

D’abord, j’ai travaillé exclusivement sur de la musique d’époque. C’est un plaisir de redécouvrir un morceau que tu as écouté à 17 ans avec deux pétards dans le nez dans une piaule au fin fond du Larzac. Donc une immersion, également au niveau des films, de la photo, etc. Mais de toute façon, la culture franco-américaine a toujours été mon terreau et la base de ma bibliothèque !

J’avais aussi envie de prendre le lecteur pour l’immerger dans le bouquin. C’est un livre caméra à l’épaule, proche des personnages. Mais comment créer l’émotion sans être putassier ? Honnêtement, je me suis demandé pendant quelques temps dans quoi je m’étais embarqué ! Je pense qu’au final, je me suis un peu inspiré de la démarche de Jim Jarmusch, ou de ce type de cinéma indépendant américain, très immersif.

Il y a eu aussi beaucoup de recherche de documentation, pour retrouver les designs exacts des objets, des bâtiments, des vêtements, etc. J’ai aussi été influencé par Les Petits Riens de Lewis Trondheim, une approche de l’autobiographie que j’adore, même si ce n’était pas exactement ce que je voulais faire avec Route 78. Et puis, dans le fonds, comme disait je ne sais plus qui, ce qu’il y a de plus intéressant chez moi, c’est ma femme ! C’est pour cela que c’est mon héroïne.

On a fait une bonne vingtaine de voyages ensemble, dont les États-Unis, qu’on a refait 2 fois. Et ça n’a pas dégoûté Patricia de faire du stop ! C’est donc une BD un peu égoïste, mais je pense que c’est le meilleur moyen de toucher les gens. Quand j’ai fait mes premières BD d’humour, c’était pour ne pas aller à l’usine, rester une personne intègre et si possible, faire marrer les autres. La démarche est aussi égoïste finalement !

Ça a été difficile de retrouver vos « personnalités » de l’époque ?

Ça non, si on est ensemble depuis 38 ans c’est parce qu’on a pas tellement changé ! Si on est bien dans ses baskets, on ne change pas fondamentalement. Je tiens quand même à préciser que je n’étais aussi naïf et candide que dans la BD ! Bon, je l’étais quand même…

Il y avait finalement beaucoup de naïveté à cette période. On était confiants, et je pense que ça nous a préservés. Plus jeune, je pensais qu’il ne nous était rien arrivé de grave parce qu’on assurait, mais rétrospectivement, je pense qu’on était protégés par notre naïveté, on devait être assez désarmants en fin de compte ! Il aurait fallu être un psychopathe pour vouloir nous faire du mal.


Ou un anti-communiste forcené ?

C’est vrai ! Et c’est une constante américaine. Et encore ! Au fil des années, j’ai rencontré des amis, de vrais gauchistes américains, qui lisaient The Guardian ! Sous Reagan, tu trouvais dans The Guardian des infos qui n’étaient nulle part ailleurs, pas même en France. Toute la période Nicaragua, les trafics d’influence en Amérique du Sud, les coups d’État, etc. Reagan, on le voyait comme une marionnette sous la coupe de son administration à l’époque !

Que retirez-vous de cette expérience et de l’écriture de l’album ?

Ce sera pratique si un jour je me tape Alzheimer [rires]. Sinon, ce plaisir égoïste que j’évoquais avant. Et pour moi c’est cela. J’aime toutes les BD. La BD que je pratique, c’est une manière de vivre. J’adore les voyages de Jano, j’adore la candeur de Margerin quand il parlait de Rock’n Roll. Si c’est un 9e art, c’est ce qui m’intéresse. Parler du réel, mais surtout parler de sentiments. Dire à tous mes potes en santiags et en perfecto « Ouais, je suis une fleur bleue, et je vous emmerde ! » [rires].

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