Oser choisir…
Et comment s’est fait votre découpage en chapitres ?
Fabio Moon : On adore les chapitres qui nous permettent de raconter…
Gabriel Ba : … avec des ellipses, c’est très dur à faire mais c’est génial !
Vous jouez aussi beaucoup sur le rythme…
Gabriel Ba : Pour cela nous faisons ensemble tous les croquis de l’histoire.
Fabio Moon : Notre scénario n’est pas écrit, c’est des croquis de toutes les planches avec les dialogues. C’est le moment où on fait tous les choix de l’histoire, celui de la durée des scènes notamment.

Gabriel Ba : C’est le moment le plus difficile mais celui que l’on aime le plus. Une BD change constamment de rythmes de lecture. On veut vraiment choisir le temps que le lecteur doit passer sur chaque case.
Et vous n’avez pas peur des cases épurées…
Gabriel Ba : Ca s’est fait naturellement, pour donner l’idée d’une grande étendue, vu que l’immense rivière est vraiment constitutive de la ville de Manaus.
Fabio Moon : Cette rivière est très importante pour la ville. Les cases avec tout ce blanc c’est pour donner l’impression de l’infini de cette eau : on sait où elle commence, mais pas où elle finit…

Gabriel Ba : Le monde de cette histoire s’arrête à la rivière. Plus loin, c’est l’imaginaire, le reste du monde : quand un des deux frères, Yaqub, part, il part pour un autre monde qu’on ne voit jamais. Même aujourd’hui, il y a peu de vols pour Manaus, peu de route.
Fabio Moon : Comme les habitants utilisent beaucoup la rivière, elle est vraiment le symbole de l’inconnu au bout du chemin !
Et vos exilés sont comme échoués à Manaus…
Fabio Moon : On ne peut pas échapper à cette réalité. Les immigrants arrivés ici ne peuvent pas repartir sans perdre quelque chose. Le personnage de Galib est rentré « chez lui », au Liban, et en est mort. Yaqub, en partant, a brisé la possibilité de faire la paix avec son frère. C’est Manaus qui est le lieu et le centre de l’histoire.

La perte semble être au centre de votre œuvre…
Gabriel Ba : La nostalgie du passé perdu nous intéressait dans ce roman. Dans nos livres, nous ne faisons pas le portrait du Brésil d’aujourd’hui, mais plutôt celui d’un rêve du Brésil, une sorte de vision romantique mais pas nostalgique.
Fabio Moon : Dans Deux Frères, la vision nostalgique de Milton s’est ajoutée à la nôtre. Tous ses romans parlent avec nostalgie des choses perdues avec le temps.
La question du choix semble d’ailleurs un élément fondateur.
Fabio Moon : L’importance du choix parcourt tout notre travail. Aujourd’hui les gens peuvent vivre…
Gabriel Ba : … Sans choisir ! Beaucoup de gens vivent en se laissant porter...
Fabio Moon : Alors qu’il faut choisir : on ne peut pas tout avoir. Il faut prendre ses responsabilités !

Gabriel Ba : Dans chaque histoire, nous avons différents choix. Dans Daytripper, on parle des bons choix, ceux qui nous font vivre les yeux ouverts. Dans L’Aliéniste et Deux frères, on raconte les mauvais choix qui poussent à des absurdités. On va bien sûr à l’extrême : dans Deux frères, tout le monde fait tout le temps les mauvais choix… C’est ce qui est tragique.
Et quel est votre prochain projet ?
Fabio Moon : Nous sommes en train de choisir. On est sur le prochain Casanova. On fait tout le temps un album qu’on écrit pour quelqu’un d’autre puis un projet qu’on crée ensemble, histoire d’avoir le temps pour choisir.

Gabriel Ba : On est pas pressés, il faut déjà laisser le livre Deux Frères vivre ! On veut en parler maintenant que l’album est sorti.
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